Il y a quelque chose d'assez ridicule dans la juvénolâtrie contemporaine. Mais aussi quelque chose de triste. Ce sont les civilisations sur le déclin qui idolâtrent la jeunesse et en parlent à tout bout de champ. Les autres, étant réellement jeunes, n'ont à dissimuler la mort ni à mépriser les anciens. Les sociétés modernes veulent rester « jeunes » : signe qu'elles ne le sont plus. Personne ne veut vieillir : signe que tout le monde est vieux.
La jeunesse, à cet égard, n'est plus qu'un mythe qui fait bêtifier les adultes – et prospérer les marchands. Mais en fait, c'est à un double mouvement que l'on assiste. D'une part, le monde des adultes s'infantilise. Les médias, la publicité, la démagogie électorale, l'égalitarisme aussi – il faut « être à la portée de tout le monde » – y contribuent largement. Il suffit d'une écoute un peu systématique de la radio et de la télévision pour se convaincre que le public auquel on s'adresse possède un âge mental de huit à douze ans. D'autre part, le monde de l'enfance est peu à peu « adultisé » – sinon adultéré – par une immersion permanente dans des problématiques et des préoccupations qui, comme on dit, ne sont pas de son âge. D'un côté des petits vieux qui ne croient plus à rien ou qui ont « des idées » comme on a des boutons. De l'autre, des débiles quinquagénaires qui passent leurs soirées à regarder les « jeux télévisés », en attendant de partir en colonies de vacances. Au Club Méditerranée.
La jeunesse est une valeur, soit. Un état d'esprit, c'est entendu. On a mille fois glosé là-dessus. Mais c'est aussi une classe d'âge et, à ce propos, sans doute faudrait-il distinguer entre l'enfance et la jeunesse. La seconde est d'invention récente.
Autrefois, sorti de l'enfance, on entrait dans l'âge adulte – avec la vigueur de la jeunesse. En faisant de l'enfance un monde clos indéfiniment prolongé dans le temps, la bourgeoisie a créé un thème flou, dont la gauche, à son tour, n'a pas manqué de s'emparer. Le socialisme, c'est bien connu, est la « jeunesse du monde »...
Mais où est donc passée aujourd'hui la « jeunesse du monde » ? Un constat s'impose. Nous vivons, dans les sociétés développées, la « fin de la jeunesse » comme pouvoir de mobilisation de l'histoire. La « révolte » des années soixante, partie d'Amérique, n'a pas marqué le début d'une ère nouvelle. Elle n'a été que le dernier écho, avec trente ans de retard, de la révolte, bien réelle celle-là, de la jeunesse européenne de l'entre-deux guerres. Cette dernière était morte sur les champs de bataille. L'autre n'a pas eu le privilège de succomber sous les coups des CRS ou des gardes fédéraux. Elle a disparu en douceur, dans la normalisation des médias, la récupération publicitaire et les délices de l'american way oflife.
On a les morts qu'on peut.
éléments n°43 Robert de HERTE
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