On trouvera ici, pour l'heure, les textes de Runes-Lettres d'O.D.I.N.
qui, à terme, seront complètés des réflexions du groupe de
travail de l'O.D.I.N.-76, de sa création jusqu'à sa dissolution en 1996.



mercredi

Runes, été 1993


Éditorial

... Riccardo Petrella


Que nous le voulions ou non, nous subissons des définitions. Nous utilisons des mots qui sont le plus souvent ambigus, donc imprécis. Le mot « région » en est un. Son ambiguïté est due au fait qu'il est utilisé pour définir des réalités vécues comme extrêmement hétérogènes.

Ainsi, nombreux sont les Catalans, les Basques, les Écossais, les Gallois, parmi quelques exemples, qui sont vivement opposés à l'usage du terme « région » pour désigner la communauté à laquelle ils appartiennent. Pour eux, « région » est un terme réducteur, car il renvoie à celui de « nation » : d'où il y aurait des nations (celles qui se caractérisent par un État) et des régions (parties d'un État), alors que – disent-ils – la Catalogne, les Pays Basques, l'Écosse, etc., sont des nations sans État

Le mot « nation » revient chez d'autres populations, au sein desquelles des groupes parlent de plus en plus fréquemment de nation bretonne, alsacienne, corse, sarde ... Les réactions négatives que soulève une telle appropriation du mot nation sont dues – disent-ils – au fait que l'on a systématiquement et délibérément confondu nationalité et citoyenneté, nation et État-nation. Alors que la nation est un groupe relativement stable et de formation récente en Europe, qui constitue, à l'heure actuelle, l'une des formes de la vie collective associée, l'État-nation a prétendu réduire au niveau du fait étatique (l'État) le fait national, en essayant (souvent avec succès) d'éliminer la multiplicité des nationalités.

Il a rendu identique dans les principes et dans la pratique ce que d'autres États n'ont pas rendu identique : d'une part, la nationalité (par exemple slovène, macédonienne, ukrainienne, etc.) et, d'autre part, la citoyenneté (yougoslave, soviétique, etc.).

Bien que la conscience d'être une nation ne paraisse pas, pour l'instant du moins, être aussi manifestement ressentie par l'ensemble des populations mentionnées ci-dessus, il n'en est pas moins vrai que, parmi les habitants de ces « régions », il existe une conscience diffuse d'appartenir à un espace humain, culturel et historique distinct.

Chaque époque, chaque génération écrit son histoire et produit l'image qu'elle se fait de son passé. En ce sens, elle réinterprète l'histoire écrite par les générations précédentes. Réinterpréter l'histoire ce n'est pas seulement le fait d'historiens professionnels qui apportent de nouveaux éclairages. C’est aussi le fait de groupes qui prennent conscience de leur histoire et, soucieux de leur avenir, jettent de nouveaux regards sur le passé.

Ainsi, on assiste ces dernières années à un regain d'actualité du débat sur l'identité, l'unité et la diversité culturelle de l'Europe.

Pour les uns, l'Europe est une civilisation, un Kulturkreis (espace culturel) fait d'héritages sans cesse repris et sans cesse réadaptés, tels que les libertés primitives celtiques, germaniques et slaves ; l'ordre juridique romain ; l'apport grec dans l'art, le théâtre, la poésie, la science, la philosophie, la théologie ; la religion judéo-chrétienne.

D'autres nient l'existence d'une unité culturelle et d'un espace européens. Certains parce que, pour aux, les seuls espaces qui peuvent être reconnus sont les espaces nationaux. Selon eux, le fait national est celui qui, dans l'histoire de l'Europe, a eu la seule dynamique de développement évidente, permanente : c'est le fait qui resterait permanent dans l'avenir. En outre, opérant une grave confusion entre le fait national et le fait État-nation, ce courant d'opinion estime que la cristallisation de patries et d'États nationaux est le phénomène dominant de l'histoire de l'Europe. À ceux qui objectent que l'histoire nationale et, à plus forte raison, l'histoire de l'État-nation demeurent incapables d'expliquer les faits culturels de l'Europe, car pour juger et comprendre ces faits, c'est toujours au-delà et en deçà de la nation et de l'État-nation qu'il faut faire appel, ils rétorquent que ces faits culturels ont été spécifiés, précisés, au niveau de la nation et de l'État-nation.

D'autres, encore nient cette unité parce que ce qui leur parait évident, c'est l'existence de plusieurs Europes, dont les liens et les interrelations ne sont pas de nature à permettre de considérer ces différentes Europes comme parties intégrantes d'un tout.

Dès lors, plutôt que de chercher l'unité culturelle de l'Europe, il importe davantage d'essayer de comprendre comment sont nés et se sont développés les différenciations et les rapports inégaux entre régions ; en fonction de quels mécanismes les États-nations se sont constitués, pour donner à l'Europe l'histoire que l'on connait; et pourquoi on assiste à l'heure actuelle à cette explosion de conflits et d'oppositions au sein des États-nations entre la périphérie et le centre.
La renaissance des cultures régionales en Europe
Éditions Entente 1978

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