Ces deux dates sonnent comme un glas.
Elles résonnent à nos oreilles, comme en nos cœurs, aussi douloureusement que 1944.
Ces deux jalons posés sur le chemin de l'histoire de la Normandie marquent les moments de notre aliénation. Notre destin mérite-t-il encore le noble qualificatif de « normand » ? Et dans l'affirmative, s'il est toujours vrai qu'en politique le désespoir est une sottise absolue, quels moyens voulons-nous laisser à nos enfants pour décider de quel sceau ils veulent marquer leur page d'histoire normande ?
À l'heure où un nouveau gouvernement, dans l'indifférence quasi générale, tente de mettre en place « allegro ma non tropo » une réforme du code de la nationalité dont on peut s'interroger sur les conséquences réelles ou espérées, force nous est faite de constater que l'homme de la rue se préoccupe de tout autre chose, malgré toute la bonne volonté des organisations caritatives, syndicales ou politiques, quand ce ne sont pas des ministres d'État qui récusent les élus de la Nation. Vu de la rue, la réforme du code de la nationalité anime un débat politique houleux. Comme toujours, les mouvements du panier de crabes de l'Assemblée Nationale monopolisent tous les regards, alors que les relations de l'homme de la rue, si elles ne font pas la Loi, n'en sont pas moins dignes d'intérêt, et, il y a deux ans, à peine, un tel projet de Loi aurait déclenché une émeute.
Une cinquantaine d'organisations, partis politiques et syndicats ont appelé à une journée d'action le 11 mai à Paris. La manifestation a réuni quelques centaines de personnes. Nous sommes loin des milliers de manifestants descendus dans la rue pour « protester » contre la mort d'un voleur de moto, tué par la police au terme d'une course poursuite dans une banlieue chaude.
Car vu de la rue, la situation n'est jamais la même que celle vue par la presse ou du haut du perchoir de l'Assemblée Nationale.
Selon un sondage CSA/Le Parisien, soixante-seize pour cent des français approuvent la suppression de l'automaticité de l'attribution de la nationalité aux jeunes nés en France de parents étrangers.
Si cela reflète assez peu le malaise de bien des français de souche qui, au fil des années, ont vu la nation accueillir à bras ouverts les immigrés, et qui voient aujourd'hui ceux-ci ne pas répondre aux espoirs utopiques que nos divers dirigeants ont fait miroiter, cela reflète bien mieux que trois-quarts des français n'oublient pas que ceux qui gouvernent ont été élus avec l'argent de ceux qui ont profité de la colonisation avant de se servir de l'immigration. Que vingt-cinq pour cent de la population résidente en France soit d'origine extra-européenne joue, à notre avis, fort peu dans les préoccupations de l'homme de la rue, de toute évidence plus intéressé par la baisse de son pouvoir d'achat, sinon par la remise en cause de son gagne-pain. Il ne faut pas se leurrer : si la réforme du code de la nationalité provoque si peu de réaction, c'est qu'il y a eu depuis quelques années un profond changement de mentalité dans la rue
Car vu de la rue, ce ne sont pas les chiffres des statistiques qui font la réalité quotidienne. Lorsque le sentiment d'insécurité s'accroît, ce sont des faits et non des courbes abstraites qui font monter la tension, et rien n'indique une prochaine et notable amélioration. Sans que la presse ne fasse cas des états d'âme du bon peuple, celui-ci approche lentement du ras le bol. Le fameux seuil de tolérance d'il y a quelques années a été largement franchi.
Pour ce qui est de la Normandie, il nous faut admettre que, si comme partout ailleurs en Europe, l'immigration peut-être un exutoire à l'exaspération de nos concitoyens, cette situation n'est pas à mettre au seul crédit des trente dernières années, loin s'en faut. Nous nous plaisons à rappeler que l'espace normand est un carrefour de civilisations, et, à ce titre, une terre d'accueil depuis sa plus haute antiquité. Jamais nous ne pourrons oublier que l'accueil a aussi évolué à certaines heures sombres de notre histoire [Normande, ndlr] : l'immigré des uns, est aussi le colon parti d'ailleurs... 1204 vit le remplacement des élites civiles normandes par des horzains attirés par la richesse non défendue du premier État moderne européen. 1450 fut le début de la substitution de nos élites intellectuelles, c'est à dire principalement le clergé normand, à ces deux dates nous pouvons ajouter l'exode rural commencé par la révolution industrielle et les saignées de 1914-1918 et 1939-1944 où nos populations, pour des intérêts stratégiques discutables, ont pu civilement participer à l'effort de libération. L'œuvre continue jusqu'à nos jours, puisque voici un an l'État français décidait de la fermeture de l'école de notariat de Rouen. Chose de peu d'importance, sinon que cette institution était la dernière à enseigner le droit normand sur le continent !
La réforme du code de la nationalité n'est qu'une manifestation supplémentaire d'un jacobinisme, version frileuse. Car, si la République Une et Indivisible avait compris que sa richesse réside dans la diversité, elle aurait su faire la différence entre citoyenneté et nationalité, elle aurait conservé un hexagone hérissé de libertés, et la société civile moins anémiée aurait été plus à même de « lutter contre » un phénomène qui n'est dangereux que par l'état de faiblesse d'une institution sclérosée.
À l'évidence, la réforme du code de la nationalité vient trop tard, les politiques peuvent débattre, la presse en faire écho, vue de la rue, une nouvelle loi laisse indifférents des peuples qui ont trop longtemps attendu.
Gilbert CRESPIN
1 commentaire:
Aux années, néfastes, de 1204 et 1450 qui marquent l'invasion puis le rattachement de la Normandie à la couronne de France, il ne faut jamais oublier celle de 1202 et de sa comise contre Jean sans Terre qui le dépouille d'une Duché qui n'est pas comprise dans l'objet de cette comise.
Le titre aurait du être 1202, 1204 et 1450.
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