La France manquerait d'idées, et pourtant elles n'ont pas toujours fait défaut chez les responsables d'État puisqu'avant que la France ne transforme son président en grenouille, un projet culturel entendait remplacer la « gestion » par le « politique » en souhaitant que l'on s'oppose à toute vision mondialiste et à l'universalisme occidental dans les rapports culturels (rapport Thibau). Dans le droit fil du discours de Mexico on insistait encore sur la menace de l'homogénéisation culturelle dont les américains étaient tenus pour responsables, on insistait tout autant sur les méfaits de la culture de masse en rappelant que les fortes appartenances nationales, régionales et locales n'étaient en rien une entrave aux relations culturelles internationales.
Une culture n'est vivante que si elle donne lieu à une civilisation en compétition dynamique avec d'autres civilisations. Ce pari « Espagnol » tant annoncé à Mexico par l'immuable ministre de la Culture n'aura été qu'une vaine promesse rendue irréalisable par l'absence de toute promotion étatique cohérente. La seule politique digne de ce nom porte sur la seule conservation du patrimoine, chose louable en soit, mais peu dynamique au demeurant : ravalement et promotion immobilière semblent être les deux axes prioritaires de la politique culturelle hexagonale et en fait de ministre c'est un gérant de S.C.I. qui est chargé de veiller à la qualité de notre image de marque.
En matière de création, la plupart des artistes, et même les plus talentueux, ne cherche plus à donner un « sens » à leur œuvre. Les « écoles » sont devenues des groupes de sensibilité floue. Comment dans de pareilles conditions produire pour une cause, un peuple, une idée ou une civilisation, puisque ces idées, sinon les mots, sont suspects, bannis ? Comment trouver les moyens d'enraciner à quoique ce soit la culture lorsque le modèle dominant prône sa division en vois secteurs normalisés : la culture de « masse », la culture élitaire et la culture dite « classique » qui codifie la tradition, rationalise la mémoire collective, gère le passé, là où elle avait une fonction de création et de renouvellement qui prend dans la civilisation occidentale un rôle de conservatoire statique. La seconde comme son nom l'indique, ne vise qu’à marquer une discrimination sociale en rendant incompréhensible sa représentation à l'entendement populaire. La culture de « masse », enfin, dont le rôle se planétarise de plus en plus, se caractérise par l'économisme et le cosmopolitisme : comment ne pas rapprocher Blanche Neige chez les Japonais de… « Nos ancêtres les Gaulois » enseignés hors de leur contexte hexagonal ? Cette neutralisation de la culture dans l'économie amène à toujours plus de technique pour plus de sensationnel, la culture perd ainsi de sa charge émotionnelle.
Il n'existe plus d'osmose entre le politique et le culturel, mais entre l'économique et le culturel, ce dernier étant conçu comme un loisir quantifiable et monnayable et non plus comme une manifestation d'un art de vivre. La culture ne doit plus être ressentie comme un héritage et se galvaude dans le spectaculaire. Le peuple, de créateur de culture, devient voyeur. L'État, gestionnaire de la culture, n'a plus de marge de manœuvre politique et son souci de bonne gestion le conduit à renforcer le système. Le juste souci d'indépendance économique aboutit à une abdication culturelle, l'État subit, comme le peuple, la logique mondiale d'un type d'économie de marché. Le nouvel ordre économique mondial utilise les cultures nationales, les patrimoines pour les détourner de leur sens, en les transformant en marchandises de bas de gamme. Le poids de cette culture marchande rend d'autant plus inopérants les contre feux institutionnels qu'ils sont envisages de façon sectorielle, limités à une définition étriquée de la culture, lorsque l'État ne se rend pas complice de brader le patrimoine sur les fonds baptismaux du secteur tertiaire, au lieu de le préserver et de l'accroitre.
La fonction économique de la culture est devenue dominante. L'État, pris au piège de l'économisme par son souci de paraître responsable, s'interdit d'imposer « non démocratiquement » un choix de culture. Argument fallacieux qui reproduit et aggrave les différences de classes. Hier, pour un même ensemble occidental, il y avait des cultures bourgeoises, esthétiques, ou ouvrières qui cohabitaient ou se mélangeaient selon les traditions locales, créant génération après génération une culture populaire. Aujourd’hui, isolé devant son téléviseur, le petit fils de paysans, fils de chômeurs citadins, déraciné, futur délinquant est plus familiarisé avec les mœurs des kangourous que celles du daim ou du lapin, en connait plus sur les coutumes des pays lointains que sur celles de sa propre famille. L'espace culturel européen lui devient incompréhensible s'il n'est pas teinté de vernis américain. Triste résultat du plébiscite « par le goût du public » qui n'y comprenant plus rien, laisse dire les spécialistes de la publicité.
Le sens ethnique, géographique, historique des cultures est subverti, elles ne parlent plus, elles sont condamnées à ne survivre que dans de lointains musées. La logique d'exploitation économique déconsidère les codes culturels qui enserraient la vie sociale, exproprie la culture en la théâtralisant. Les patrimoines sont bien là, mais ils sont morts. Ils pourraient encore vivre s'ils étaient enseignés dans les écoles, les universités ... Mais leur usage, leur connaissance sont mis au ban de la société bien pensante, car ils « enracinent » la pensée, maintiennent des réflexes non rentables, voire destructeurs pour une société de consommation.
François DELAUNAY
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