Mais on s'en souviendra dans quelques semaines seulement car, ironie de l'histoire ou relecture qui devient familière, on avait oublié de faire débarquer les pauvres gars venus des U.S.A., de l'empire britannique et quelques européens du continent en période de vacances nettement plus propices à l'exploitation commerciale et politique du sacrifice de leur vie.
Quitte à faire du pognon sur le compte des morts, disons que la Normandie, grande perdante de l'époque, n'y gagne encore rien matériellement et moralement. Ce fait d'arme va être traité (exploité) sans que l'on parle du champ de bataille. Les producteurs de gadgets, aliments, vêtements estampillés 6/6/44 vont toucher le jakpot, quelques hôteliers ont annulé les réservations de vétérans et en même temps terni notre image. Ni les élus, ni l'Office du tourisme Normand n'ont su faire de l'événement un phénomène catalyseur des énergies de la région et obtenir des équipements comme, n'importe quel organisateur de Jeux Olympiques sait le faire. Il faut dire que les querelles politiciennes s'en sont mêlées ; de certains coqs de village – appelés maires ou présidents de comité – au gouvernement en passant par un président de demi-région qui voulait faire croire que la Normandie se résumait à trois départements. Sous les bombes, de Saint-Lô au Havre en passant par Caen, Rouen – sans oublier Dieppe deux ans plus tôt – de nombreuses villes ont perdu leur cachet et une fraction non négligeable de leurs populations qui ne sont jamais revenues.
Puisque nous sommes sur le chapitre des morts utiles pour le cynisme, touillons un peu. Les G.I.'s ne sont pas morts pour rien, ils ont remplacé l'occupant allemand par la dictature du Père, du Fils et du saint Esprit, c'est-à-dire Mc Do, Coca et Euro Disney, qui étant plus insidieuse ne sera pas non plus facilement délogée.
Continuons. Pourquoi le respect des morts devrait-il être sélectif ? Les Allemands n'ayant pas le don d'ubiquité, il faut bien admettre que si les tortionnaires étaient dans les camps, on avait en Normandie des unités d'élite, comme chacun le sait, qui à ce titre méritent le respect. D'autant plus que certains de ces merveilleux soldats, même si adversaires, ont ensuite parfaitement servi la France en Indochine dans les rangs de la Légion. Quant aux exactions qu'elles ont pu commettre en marge des combats, je les garderais en réserve de la mémoire de la république jusqu'au jour où la lumière sera faite sur les heures noires de l'épuration – un mot très à la mode – et que les décomptes seront possibles.
Les Droits de l'Homme sont universels et intemporels, c'est bien connu. Ayons donc une pensée pour les françaises et leurs bébés enterrés dans les cimetières allemands entre 1945 et 1947, morts des mauvais traitements qui leur étaient infligés dans les camps où avaient été regroupées celles qui avaient fait de la collaboration amoureuse, avant que le M.L.F. vienne dire qu'elles pouvaient disposer de leur corps dans la banlieue de leur choix. Allez voir ces tombes avant qu'un émissaire d'un ministre spécialiste des questions raciales et nationales obtienne du gouvernement allemand qu'elles aillent dans une fosse commune au nom de la réconciliation franco-allemande comme n'importe quel vendéen parce que la notion de crime contre l'humanité est aussi impartageable qu'imprescriptible.
Pire que le cynisme et l'amnésie sélective, il y a le ridicule qui tuera peut-être beaucoup de monde sauf les acteurs. Le débat sur la présence du chancelier Khôl aux cérémonies commémoratives me fait penser que les britanniques ne nous ont jamais invités à commémorer Azincourt et Waterloo. Par contre si on voulait culpabiliser les allemands nés après 1940, on ne s'y prendrait pas mieux. Ce rejet exacerbé créera un ressentiment analogue à celui des années 20 qui a rendu possible l'accession d'Hitler au pouvoir. L'ironie et l'irresponsabilité, la bêtise et le cynisme, les Droits de l'Homme à usage politique ou commercial – show business oblige – sont à la portée de tout le monde comme cet article le démontre. En réalité, finalement, la Normandie a encore manqué une occasion de se mettre en valeur avec dignité et à amorcer une sortie du marasme économique.
Pour conclure, la seule commémoration que je m'autorise c'est de remercier les acteurs du 6 juin 44 qui m'ont permis d'écrire ces lignes. C'est une liberté que je crois encore avoir, qui ne sera peut-être pas payante, mais que je leur dois. Parmi les gens « politiquement corrects » (sic) qui critiqueront ces lignes de dissident, combien sont allés modestement au pied d'un monument aux morts le 8 mai depuis cinquante ans et en particulier ne serait-ce que cette année de commémoration en fanfare qui oublie les victimes Normandes ?
Éric Valin
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