Le combat millénaire de la Normandie une véritable nation en lutte pour ses libertés et son identité
C'est sans hésiter que j'emploie le terme « Nation » à propos de la Normandie. Il y a cela plusieurs raisons.
La première, c'est qu'en dépit de la regrettable confusion créée par l'expression « État-Nation » consacrée en langue française – la nature de la Nation et celle de l'État sont différentes – je préfère, personnellement, la forme anglaise Nation-State, ou Nation-État, qui me paraît à la fois plus proche de la réalité et prêter moins à confusion.
C'est la Nation, société civile globale « parfaite » en sa complexité, qui est première. L'État, superstructure politique est second et de caractère subsidiaire.
La preuve en est que, si les deux concepts sont distincts, celui de Nation est dissociable de l'État alors que l'inverse ne l'est pas. On a vu et l'on voit toujours des Nations exister sans État ou écartelées entre plusieurs États : Israël, l'Irlande, la Pologne, la Nation basque, la Nation kurde pour ne citer que quelques exemples pris au hasard. Par contre, on ne connaît pas d'État sans le substrat d'une ou plusieurs Nations, à l'exception peut-être des États-Unis d'Amérique.
La seconde raison, particulière à la Normandie, c'est que son caractère de Nation distincte lui a toujours été reconnu et l'est toujours jusqu'à nos jours
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Le sentiment de la spécificité Normande n'a pas disparu malgré le régime colonial interne institué au profit de Paris par la république française. Parti d'un mouvement qui affectait toutes les provinces de France – le régionalisme – ce sentiment national Normand s'affirma avec éclat dans le sillage du mouvement romantique d'une part et dans la contestation de l'État jacobin par un homme comme Arcisse de Caumont et les membres de l'Association Normande qu'il créa. Caumont est le premier sans doute à avoir compris le lien entre la réforme de l'État issu de la révolution et la restauration de ces Nations que sont les grandes provinces historiques. Il dépassait une réaction romantique quelque peu échevelée pour l'encadrer dans un projet politique et administratif radical. Caumont a également plus que pressenti le lien entre l'union de l'Europe, la réforme de l'État et la restauration des provinces historiques.
Le caractère de Nation de la Normandie éclate aux yeux de tous, Normands, concitoyens français et nombreux étrangers venus des pays Scandinaves, anglo-saxons et d'Italie du sud lors de l'extraordinaire Millénaire de la Normandie célébré avec un exceptionnel sens de la grandeur en 1911.
Enfin, la spécificité Normande est reconnue dans les temps modernes et de nos jours encore par les hommes politiques et des observateurs qui font autorité.
Dans les années 1950, d'abord André Siegfried, maître ès-sciences politiques et humaines incontesté, vaste esprit embrassant du regard la totalité du monde, qui donnait le 4 février 1955 à Rouen, à l'Association des Études Normandes une remarquable conférence sur la « Psychologie du Normand ».
Ensuite, Jean Dantain publia, toujours dans les Études, Normandes (4ème trimestre 1954) une étude sur « La mentalité Normande et les influences Nordiques ».
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Enfin, en 1981, deux anthropologues, Hervé Le Bras et Emmanuel Todd notaient dans « L'invention de la France » de nombreux caractères spécifiques de la Normandie... « Cette province, très proche des régions de plus dense peuplement celte, fut cependant colonisée tardivement par des Scandinaves, par des Normands dont Marc Bloch avait bien senti qu'ils n'étaient pas simplement une poignée de chefs, mais une communauté complexe et complète, incluant un grand nombre de paysans, capable de coloniser en profondeur une partie du territoire occupé. »
C'est Léopold Sedar Senghor, champion de la négritude et de la francophonie qui, en 1983 définit la « Normandité » comme un lyrisme lucide. Admirable définition de nos âmes de glace et de feu. Saluons la sûreté d'intuition de l'Africain enraciné dans sa culture et la finesse de l'analyse d'un grand lettré.
Paul-René ROUSSEL
L'Europe, La Nation Normande et la France
éditions de l'Esnèque, mai 1988
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