Peu portée à la violence, la Normandie ne présente guère de terre traditionnelle de révolte que le Bocage. Encore s'agit-il de bien saisir le caractère de ces flambées de violence et de cette protestation populaire : ces réactions spontanées et brutales tendent à la défense de situations et de privilèges menacés par une modernité qui dérange. Jamais elles ne s'appuient sur un idéal progressiste. La Normandie sera une terre d'élection pour la chouannerie.
L'examen des mouvements populaires, urbains et ruraux en « haute » Normandie conduit à peu près aux mêmes appréciations. On y a trouvé de l'irrévérence, de la fronde, des violences à caractère folklorique, mais rien qui ne soit de nature à troubler l'ordre public établi.
– 996, les paysans s'organisent, élisent des délégués pour contester les nouveaux droits féodaux et la suppression des droits traditionnels.
– 1258, rédaction du « Grand Coutumier de Normandie », qui est une compilation du droit local Normand.
– 1276, 1292, émeutes antifiscales.
– 1315, établissement de la « Charte aux Normands ».
– 1337, des représentants de la noblesse, du clergé et des communes se réunissent à Pont-Audemer, constituant les États de Normandie.
– 1339, refus du Subside, l'impôt ne peut plus être levé s'il n'a pas été voté par les États Provinciaux.
– 1351, compte tenu de l'état désastreux de la Normandie la perception du Subside entraîne des émeutes à Rouen. Sur le plan politique, pendant cette « Guerre de Cent ans », les Normands ne prennent position ni pour les français, ni pour les anglais.
– 1356, en janvier, Geoffroy d'Harcourt refuse le serment vassalique au Dauphin Charles, tant que la « Charte » ne sera pas solennellement confirmée.
, en février, la noblesse Normande refuse la levée de l'impôt sur ses domaines. Capturés, lors d'un banquet au château de Rouen, Jean d'Harcourt, les sires de Granville et de Mainemare sont décapités et leurs corps pendus au gibet.
– 1382, la clameur de Haro est lancée contre les aides extraordinaires, c'est la Harelle contre la politique de la régence qui ne respecte pas ses engagements envers la « Charte », et les officiers royaux qui se conduisent comme en pays conquis.
– 1435, 1447-50, brigandages anti-godon dans les forêts, le Bocage, au sud de Caen, le Pays de Caux et alentours de Bayeux, le Pays de Lyons et l'Avranchin.
Pourtant l'« expérience anglaise » a renforcé le particularisme Normand en rétablissant l'Échiquier à Rouen et en instituant l'Université de Caen.
– 1461, Ligue du « Bien Public », – nobles contre l'autorité royale.
– 1530, la Normandie est une « terre de Réforme », autant par réaction sociale que pour manifester son particularisme. Malgré les Guerres de Religion, le seizième siècle marque une apogée économique. La population s'accroît malgré la récession et la peste.
– 1540, le Parlement de Rouen se réfugie à Bayeux et refuse d'enregistrer l'édit de Villers-Cotterêts qui impose le parler d'Ile de France. Parallèlement, la révolte des « Nu-pieds » confirme l'hostilité croissante des populations contre les horsains.
Le Cardinal-duc de Richelieu se méfiait
des Normands qui
« ont tendance à porter haut
et à se souvenir d’avoir eu un Duc. »
des Normands qui
« ont tendance à porter haut
et à se souvenir d’avoir eu un Duc. »
– 1635-38, l'augmentation de la Taille, l'institution d'« Emprunts obligatoires » causent des troubles sanglants à Avranches, Bayeux, Vire, Coutances, Tinchebray, Caen, Mortain, Rouen, Saint-Lô ; noblesse, clergé, communes, tous les corps sociaux Normands s'associent à la clameur de Haro. L'Échiquier donne raison à la Normandie contre l'administration.
– 1639, la Normandie, pays de « franc salé », se voit soumise à la juridiction des pays de « grande gabelle », ce qui entraîne la révolte des « Nu-pieds » ; l'accroissement des taxes sur les teintures et les cuirs cause des émotions populaires à Rouen et à Caen. La suppression du Parlement de Rouen sera la conséquence de ces révoltes contre la présence française.
– 1666, la Normandie adhère à la Fronde, en représailles la « Charte » sera supprimée et la Duché divisée en trois Généralités.
– 1685, révocation de l'Édit de Tolérance.
En supprimant les États Provinciaux de Normandie et en révoquant l'Édit de Nantes, Louis XIV a démantelé toute la vie politique et économique de la Normandie ; la natalité est en baisse et la spéculation sur le grain entraîne la spéculation foncière.
– 1762, création du JOURNAL DE ROUEN. Boulainvillers, pour qui la noblesse est d'origine franke et saxonne, déclare : « Le roi n'est que le premier, chacun des seigneurs reste maître de ses terres, comme il est maître de lui – même ».
– 1771, à la faveur de la réforme Maupeou, suppression du Parlement de Rouen.
– 1786, le Traité de Versailles est signé avec l'Angleterre, ce qui est une bonne chose pour la marine en est une autre pour l'industrie et ... la contrebande avec les Iles Normandes qui fait vivre une frange de la population au Sud de la Normandie.
– 1788, révoltes à Cherbourg, contre la cherté des grains et la suffisance de ce que l'on appellera bientôt fonctionnaires.
– 1789, Alençon, pétition en faveur de réunions périodiques d'États Provinciaux.
Nombre de paroisses demandent « que la Province soit réintégrée dans les droits qu'elle a droit de réclamer : que les États Provinciaux soient rétablis ; que la Charte normande soit respectée et exécutée », comme à Saint Martin de Maromme, baillage de Rouen.
Les cahiers de doléances, montrent, ici aussi, le souci de s'affirmer différents. Que l'on tienne pour les anciennes institutions, ou pour les idées nouvelles, la permanence du particularisme normand a été un élément décisif dans l'adhésion de la Duché aux « principes de 89 », et ce en réaction aux effets d'un centralisme croissant. Seulement, c'est une constante, les normands sont légalistes. Les débordements des mouvements parisiens et l'appropriation exclusive de la chose publique par les jacobins ont, plus que dérangé les normands, créé un sentiment de frustration en s'ingérant dans les affaires de la Normandie. Ce sera la cause de la désaffection de la majorité des normands. Si l'on a pu voir quelques figures se distinguer dans les différents camps, ce furent plus celles de défenseurs intéressés d'institutions que d'idéologues. La Normandie marque, ici encore, de son lyrisme lucide des idées, des rêves tous empreints d'une patiente détermination.
Francois DELAUNAY
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