On trouvera ici, pour l'heure, les textes de Runes-Lettres d'O.D.I.N.
qui, à terme, seront complètés des réflexions du groupe de
travail de l'O.D.I.N.-76, de sa création jusqu'à sa dissolution en 1996.



dimanche

Des batailles sans larmes

L'examen des cahiers de doléances révèle des préoccupations d'ordre, institutionnel pour moins de la moitié des thèmes, social pour le quart des thèmes, économique pour un cinquième, et se plaçaient sous la bienveillance paternelle du monarque, alors que les idées nouvelles accusaient la faible pénétration des doctrines, trois pour cent pour les droits de l'homme et contre l'arbitraire.
Garante de stabilité, d'ordre et d'apaisement social, l'assemblée législative plaît aux normands. Les représentants normands se veulent des hommes pondérés, à l'image de leur province, plus empreints de bon sens que d'idées réellement nouvelles. Ils n'ont rien compris aux doléances sur les libertés provinciales et la tourmente parisienne les distraira de la revendication normande.
Le 5 novembre 1791, quatre-vingt-quatre caennais, regroupés sous le nom de Coalition Normande, sont arrêtés pour complot anti révolutionnaire. Les autorités municipales demandent la grâce de tous ces inculpés. Entre l'accueil enthousiaste des États généraux et les princes de la révolution parisianiste c'est un premier déphasage. La tension monte et, le 20 avril 1792, pour minimiser les effets désastreux du marché noir qu'enrichit les spéculateurs, est déclarée « La Guerre contre tous les Tyrans » ; le 4 septembre, le duc de La Rochefoucauld est assassiné à Gisors ; c'est une version locale des massacres de septembre, la Normandie commence à s'inquiéter. Après la suspension du roi, on élit une nouvelle assemblée : la Convention. Montagnards et Girondins incarnent les vertus du jacobinisme et du fédéralisme. Provinces contre Paris, légalisme contre extrémisme, enracinement contre centralisme ; ici le débat qui sourd depuis Richelieu prend sa dimension contemporaine : « la Liberté ou la Mort », le slogan vaut dans les deux camps, la victoire de la vertu contre la vie du traître, l'idée paraît simple, elle ne cessera de s'imposer lors de tous les bouleversements à venir.
La mort de Louis XVI, votée par vingt-deux députés de Normandie sur soixante-quatre, ainsi que les directives parisiennes, contre le clergé entre autres, mécontentent les Normands qui ne comprennent plus la succession des événements que comme la confiscation croissante du pouvoir par les parisiens. Le refus de cette dictature conduit de la méfiance à une hostilité ouverte. Le conseil général du Calvados adresse à l'assemblée une pétition qui affirme que : « les citoyens n'ont pas applaudi à la chute d'un tyran pour ramper sous le despotisme municipal de Paris », et les jacobins de Caen rompent leurs relations avec ceux de la capitale. Les Amis de la Constitution de Saint-Lô reprochent aux Conventionnels de se laisser dominer par Paris et ses « brigands altérés de sang ». De Lisieux, on leur écrit : « Vous avez forcé, par vos principes anarchiques et liberticides, la majorité des patriotes à vous abandonner » Le trio Marat-Robespierre-Danton est attaqué : « La France n'est pas dans Paris ; elle est formée de quatre-vingt-quatre départements », et ouvertement menacé « c'est la Patrie en habit de deuil qui vous parle par notre voix ». Jusqu'alors les Normands se contentent de condamnations épistolaires, mais ils menacent de passer aux actes pour que la Convention retrouve sa liberté. Caen devient la capitale du mouvement fédéraliste. Mais dans le département les insurgés sont loin de faire l'unanimité et dans la Normandie reçoivent un soutien de principe ou un refus prudent. Au terme d'un mois de discussions, le mouvement fédéraliste n'arrive pas à se structurer, l'enthousiasme populaire est absent.
Face au mouvement la Convention réagit d'abord politiquement : décrets d'accusation, suspensions, transferts de chef-lieu de département, préludent à une lutte économique contre l'approvisionnement de la capitale que les conventionnels contreront par un embargo sur le grain et les farines vers la Normandie. Puis, une force armée, composée de parisiens, est complétée de gardes nationaux de Gaillon, Gisors, Vernon et des Andelys. Il est temps que le gouvernement réagisse car les insurgés sont enfin passés à l'action. Le 22 juin, une avant-garde fédéraliste quitte Caen pour rejoindre Pacy-sur-Eure le 1er juillet avant de rallier Vernon le 13 du même mois.

Jacques Louis David Portrait présumé de Jean-Baptiste-Robert Lindet, 1795
Successivement procureur-syndic, député à la Législative et à la Convention, chargé de la commission des Vingt et un, de rédiger un rapport sur les crimes imputés à Louis XVI ; il vota la mort sans appel et sans sursis. Membre du Comité de Salut Public, il montra une grande modération. Amnistié sous la Terreur ; acquitté à la suite de la conspiration de Babeuf, il mourut à Bernay en 1823.

À Vernon, la situation des républicains est loin d'être brillante: « Nous sommes sans chef, sans plan déterminé et sans pain » écrit Duroy à Lindet. Le combat se déroulera en fin de journée, avec quelques coups de canon et une débandade des deux côtés, à Brécourt. Cette bataille « sans larmes », car il n'y eut aucun mort, sonnera le glas du fédéralisme « normand ».
Pacifistes ou juristes ? Les fédéralistes, excellents « phraseurs », hommes de tribune, ont atteint leur seuil de compétence. Républicains, mais surtout modérés ils n'ont su assumer les conséquences de leurs premières décisions. Certains se prétendirent « dupes ». Mais de qui ? Des députés Girondins réfugiés en Normandie ? Des chefs militaires auxquels ils ne voulaient pas obéir ? En fait l'échec du fédéralisme s'explique par un manque d'enthousiasme populaire pour aller, même si c'est une marotte de républicains, mourir à la guerre.
Pourtant, ce même 13 juillet, une jeune Normande, Marie-Anne Charlotte de Corday d'Armont prouve, comme les antiques héroïnes de sagas, qu'une femme peut commettre une geste de vengeance et d'honneur. Elle a compris que les circonstances exceptionnelles exigent des mesures exceptionnelles. Mais son acte sera quand même dénoncé par un agent royaliste comme une erreur : Marat était trop nécessaire pour semer la division chez les républicains.
d'après gabriel DESERT
La révolution française en Normandie Bibliothèque Historique Privât

Aucun commentaire: