Régis Boyer, directeur des études scandinaves à la Sorbonne, est l'auteur d'une thèse de doctorat de littérature comparée consacrée au Mythe Viking. Un travail présenté en 1970 et publié au Porte-Glaive.
Tout en regrettant que l'auteur n'ait pas jugé utile d'actualiser son travail – les errements littéraires n'ont pas cessé – les lecteurs se plongeront avec intérêt dans ces pages.
« Étudier le mythe viking dans les lettres françaises, prévient l'auteur, ce n'est certes pas analyser ce que nous avons su et dit des Vikings pendant 1000 ans, mais recenser ce que nous nous sommes appliqués à mettre de nous mêmes en une notion aussi imprécise que possible, en lui insufflant nos rêves de violence et de démesure».
Depuis le IXème siècle, le mythe s'est donc nourri de l'ignorance, de la confusion, des compilations ou de l'imagination des historiens et autres écrivains. Régis Boyer s'est efforcé de recenser ces fantaisies dans les lettres françaises.
Le mythe peut être une déformation d'un fait historique par la tradition ou bien un phénomène fabuleux ; dans l'un comme l'autre cas le Viking s'est merveilleusement prêté, depuis son apparition sur nos cotes, à une formidable mythification.
D'ailleurs, le terme viking est lui-même très flou. Ce mot est né au XIXème siècle, en pleine période romantique. Auparavant, les auteurs et témoins évoquaient les Normands, les Barbares ou les pirates... Et si les Chroniques de Normandie nous assurent « le nom des Normands, seul capable d'émousser le courage des plus généreux», la confusion semble bien avoir été totale entre les différentes catégories d’envahisseurs : Normands au Nord ou Maures au Sud, ils suscitent chez leurs contemporains une même crainte et une même horreur. Un chapiteau sculpté de l'abbaye de Fécamp (XIVème siècle) évoque le martyre des religieuses du couvent local en représentant deux bourreaux : l'un brandissant une longue épée à deux tranchants, et l'autre armé d'un cimeterre.
Barbares. Normands. Pirates. Vikings... autant de mots qui ont fait naître une floraison de clichés montrant des brutes païennes, barbues, cruelles, coiffées de casques à cornes et buvant dans des crânes humains le sang de leurs ennemis.
Au moyen-âge, le Viking n'intéresse pas l'honnête homme et seuls les clercs écrivent. Voici donc notre Viking réduit à quelques caractères incomplets, déformé, schématisé, caricaturé par sa principale victime « La porte est ouverte, désormais, à toutes les affabulations et à toutes les interprétations tendancieuses puisque, dès le départ, on ne se préoccupe pas de vérité» constate Régis Boyer en remontant à l'origine du phénomène.
Le malentendu ne fut jamais tout à fait dissipé. Et si l'image du Viking devint, à certaines époques, plus positive, elle ne fut jamais construite sur des réalités. Ainsi, au XVIIIème siècle, c'est avec les Celtes que les Vikings furent confondus. Ossian devint un Viking !
L'époque se prêtait pourtant à une réhabilitation. Montesquieu et sa théorie des climats étaient passés par là, qui considérait que « les peuples des pays chauds sont timides comme des vieillards le sont, ceux des pays froids sont courageux comme le sont les jeunes gens ». Une telle théorie engendra des excès inverses et chez certains auteurs du XIXème siècle et du début de celui-ci, l'imagination fertile compensant l'ignorance, l'enthousiasme fécondant ce thème ô combien romantique, le Viking devint une sorte de surhomme nietzschéen. De Gobineau à Charles-Théophile Féret, en passant par Jean Revel et bien d'autres, ils furent nombreux à signer ainsi une nouvelle disgrâce...
Aujourd'hui, la civilisation et la culture des anciens scandinaves nous étant mieux connues, les sources étant plus précises, plus sérieuses, plus diverses, le temps est venu de débarrasser le Viking de tous les oripeaux dont l'avaient affublé nos ancêtres. Et Régis Boyer, avec ce livre, s'il ne se risque pas à nous en faire un portrait robot, contribue au moins à nous mettre en garde contre tous les faux portraits qui circulent dans notre littérature depuis onze siècles.
« A furore normannorum libéra nos domine ! » le vieux cri de prière ne s'élève plus sur les rives de la Seine ou de la Loire. De la fureur des sots, puisse le livre de Boyer nous protéger désormais.
Gérard Caumont
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