ou la consécration du génie politique
Harcelée par les Écossais au Nord, soumise aux Danois ou aux Norvégiens à l'Est, menacée d'invasion par les Normands et les Flamands au Sud, l'Angleterre du onzième siècle est en butte aux luttes intestines qu'animent des princes qui représentent plus que des factions, des peuples aux intérêts divergents.
La grande île a été longtemps morcelée en une multitude d'États. Northumbrie. Galles, Cornouailles, Wessex, Kent, Sussex, Mercie et East Anglie, où aucun ne peut arguer durablement d'une supériorité qui faute de réduire la concurrence fratricide qui conduisait les peuples, amena leur défaite. Les Brito-Saxons n'auront le sentiment de leur solidarité mutuelle qu'à l'instant où ils perdront leur liberté. Mais ce patriotisme du regret ne doit pas faire oublier que c'est avant la conquête qu'il faut être patriote.
Ethéreld « Mauconseil », arrière petit fils d'Elfred – figure mythique de l'éveil national Anglo-Saxon – épousa Emma, fille du Duc de Normandie, Richard sans Peur. En 988, après quelques raids Scandinaves, il abandonne en rançon l'impôt créé pour protéger la côte des incursions Danoises, le Danegeld ... aux Danois. En 1002, ce furent quatre-vingt-quatre mille livres qui achetèrent la quiétude des londoniens et augmentèrent la convoitise des Scandinaves. À souverain pusillanime, réactions violentes ; les massacres perpétrés à la saint Brice contre les envahisseurs qui s'étaient installés dans les campagnes désertées, entraînèrent les représailles scandinaves tant et plus que, ayant perdu son royaume, Ethéreld s'en vint trouver asile à la cour de Normandie avec toute sa mesnie, femme, enfants et c...
Lorsqu'en 1014 meurt Swein, roi du Danemark qui régnait alors sur toute l'Angleterre, les îliens partagent la couronne entre son fils Knut le Grand et Ethéreld qui refuse le compromis. La lutte reprend entre Saxons et Danois. À la mort du prince Saxon, Emma, sa veuve, épouse le challenger survivant. De cette union ils auront un fils Hard Knut qui luttera contre Harold, son demi-frère issu du premier mariage de son père.
Profitant des troubles, les aventuriers, plus politiciens que politiques, font leur fortune en servant le prince qui les oblige le plus. Goldwin est parmi ceux-ci le plus bel exemple de duplicité, en 1037, il livre à la hache du bourreau Elferd, fils d'Ethéreld, et ses six cents compagnons revenant de Normandie, qu'il devait accueillir. Pour justifier de son honorabilité, le Saxon achètera le silence et les témoignages de moralité de ses complices.
Edward, autre fils d'Ethéreld, est lui aussi rappelé de Normandie pour ceindre la couronne. Godwin pose alors, pour condition de son assentiment, une union avec sa fille Egithe. Le nouveau roi se souviendra-t-il des mœurs franques ? Il n'aura aucune postérité de cette union de mauvaise raison.
Edward, prince écœuré, se déplaît en Angleterre. Il ressent l'isolement insulaire et n'éprouve aucune sympathie pour son entourage. Pour se désennuyer de la compagnie des familiers que Goldwin lui a laissé, il s'entoure de Normands qu'il établi dans toutes les grandes situations de son État. Edward a deux héritiers possibles : Guillaume de Normandie, son « neveu à la mode de Normandie » et son beau frère Harold, fils de Goldwin.
Résumer donc la conquête de l'Angleterre à la seule journée du 14 octobre 1066 serait donc faire peu de cas de l'opportunisme politique des Normands. Sens de la situation que confirme la Tapisserie de Bayeux qui rappelle l'ambassade d'Harold auprès de Guillaume, sa libération de Guy de Ponthieu, son accession à la chevalerie de la main du Duc, sa demande en mariage pour une des filles de Guillaume, enfin son serment sur les reliques, liens solennels qui font d'Harold l'homme lige de Guillaume. Harold rompt ses serments à l'Épiphanie 1066 et succède à Edward le Confesseur qui vient de mourir. Guillaume envoie une ambassade afin de rappeler les promesses. Harold renie ses engagements familiaux et vassaliques. La diplomatie Normande décide alors d'attaquer Harold devant la plus haute autorité morale de l’époque : le Pape, pour violation de serment et usurpation de pouvoir. Suprême habileté qui fait de Harold un parjure, de Guillaume, presque excommunié seize ans avant pour son mariage avec Mathilde, un fils obéissant de l'Église et de son entreprise une croisade !
Double bénéfice, car par ce fait les Normands servent une cause qui les grandit et qui, en qualité de croisés, interdit toute action contre leurs biens pour la durée de l'opération. Ainsi d'un simple enjeu Normand on a fait une affaire de morale d'ordre général. Sur le canevas de l'organisation Normande tous, guerriers et clercs, bourgeois et abbés, Francs ou Bretons veulent en être.
Après la Bataille d'Hastings, l'Angleterre reste à conquérir et si le Doomesday Book explique en partie que le succès s'appuie sur le remplacement des élites Brito-Saxonnes, ceux qui viennent de vaincre demeurent prisonniers de leur conquête.
L'époque des grandes aventures est désormais révolue, il faut gérer plus qu'exploiter. Ici, encore, se manifeste le sens politique de Guillaume. Destructions exemplaires des villes rebelles alternent avec des redditions à des conditions clémentes voire inespérées et très honorables pour ceux qui se rallient. Déjà, toutes les bases d'une guerre « psychologique » qui durera vingt ans et huit mois.
Soufflant le chaud et le froid, Guillaume peaufinera sa « conquête », n'hésitant jamais à rejeter toujours plus vers des horizons plus lointain, tout ce qui peut freiner la réalisation d'un État gui peut entrer dans l'Histoire.
François Delaunay
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire