Georges Bernanos
Unité historique non respectée, particularismes niés, richesses naturelles spoliées, administration au service exclusif de ses ambitions, la Normandie est une Nation sans liberté.
Nation ! Voilà le mot essentiel. Celui que l'on n'ose dire. Celui qui fait peur. Pourtant la France a toujours soutenu les nationalismes ... hors de l'hexagone. Nationalistes au dehors, jacobins au-dedans, nos dirigeants ne comprennent pas que la raison des Nations triomphe tôt au tard de la raison des États. Ces États que nous qualifions de jacobins, du nom de ceux qui avaient inventé le parti unique, la doctrine d'État, la dictature issue de la poussée plébiscitaire ou de l'émeute.
Le vingtième siècle s'achève sur un étonnant printemps des peuples. Des peuples de chair, de sang, de rêve et d'esprit. Ces peuples réclament leurs langues, leurs mémoires, leurs libertés collectives. Ils aspirent à la maîtrise de leur destin. Mais la paix ne pourra véritablement s'établir en Europe que par la détente, puis par l'entente, enfin par la coopération, pratiquées entre tous les peuples de notre continent. Quelques puissent être les blessures laissées par les conflits, les comportements hérités de l'histoire, les barrières dressées par les régimes, cette coopération, plus que souhaitable, est une nécessité vitale. L'Europe est seule entre deux masses : celle des tenants du Nouvel Ordre Mondial promulgué à l'issue des événements du Golfe et celle du Tiers-Monde qui évacue son problème démographique sous nos cieux. Entre les alternatives de dépendance ou d'occupation de notre espace quelles sont nos chances véritables de retrouver une dynamique qui nous garde autonomes ?
L'Europe des États est un continent de vieux où les égoïsmes de l'« Ouest » tentent de persuader les peuples qui se réveillent qu'ils sont trop jeunes pour des structures trop vieilles. Dans cette Europe sacrifiée aux démons de l'économisme toutes les institutions, tous les partis, toutes les sectes ont le Sida et communiquent leur pourriture à la main qui s'approche pour les rafistoler. La seule méthode qui sauvegarde le sang pur, qui perde le moins de temps et qui atteigne les âmes c'est de s'appuyer fermement sur la fécondité des Nations. Et nous refusons de conforter la confusion des États « Nations », seules les communautés de destin enracinées dans le terreau de l'histoire méritent d'être appelées Nations.
Si nous doutons de la fécondité des Nations dans le cadre étatique, l'Europe est par contre capable de monter cette nouvelle construction originale et imprévue qui ne pourra prendre d'autre nom que celui de civilisation. Mais il faut que les Nations se redécouvrent, se rencontrent, garantissent l'autonomie de toutes leurs sources particulières.
La sagesse des gouvernants commande de se méfier des Normands. Cela fait bien longtemps qu'étrangers sans l'être, tout en l'étant, nous affectionnons dans les lettres françaises le rôle séditieux et indispensable des Irlandais dans les lettres anglaises. Nous avons tous pris, sans complaisance et sans préjugé, la mesure de la France. Nous savons où est sa richesse pour y avoir largement contribué. Jamais l'empreinte de la France n'a été aussi puissante que lorsqu'elle a été un phare intellectuel. Le lien qui nous unit est la langue, et il unit au-delà des frontières géopolitiques. Nous voulons délier et articuler les forces créatrices de la France de la Francophonie, Empire de l'intelligence qui saura recréer pour l'Europe que nous désirons l'antique tradition des libertés françaises.
C'est par le développement de cet esprit francophone que nous pourrons lutter contre l'hégémonisme capitalo-américain et libérer l'Europe de la tentation jacobine.
Si nous parions sur cette renaissance européenne par les Nations, ce n'est pas pour nous confiner frileusement dans une technocratie à douze, mais bien pour promouvoir une Europe globale, ouverte aux nouvelles comme aux vieilles Nations.
Gilbert Crespin
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