L'identité d'un peuple, d'une Nation ne peuvent être définis sans qu'il soit tenu compte des données ethniques et historiques.
Souvent ethnisme et tradition se sont opposés au travers de deux écoles : l'Allemande et la Française.
D'un côté, Fichte affirme le caractère mono-ethnique de son pays : « l'Allemagne n'est pas une création de l'histoire mais une race primitive qui a le droit de se proclamer, purement et simplement, ‘le’ peuple (ALL MAN) ».
De l'autre côté, Renan rejette la « théorie des deux races » exposée par le Duc de Saint Simon, Boulainvilliers et Michelet. En effet cette théorie aurait dressé, l'un contre l'autre, le peuple supposé d'origine gallo-romaine et la noblesse théoriquement de sang germanique. Aussi Renan préféra poser le principe de la diversité ethnique de la Nation française qui devint « la possession en commun d'un riche legs de souvenirs » auxquels on prête « la volonté de faire valoir l'héritage que l'on a reçu indivis ».
La prétention française à l'universel est une idée, aussi constante que couramment admise par tous les milieux intellectuels et politiques, d'Antoine de Rivarol à Jules Ferry, pour ne citer qu'eux. Cette prétention, héritage vieux de trois siècles, nous fait claironner sur tous les tons et à tous les modes que « Tout homme a deux patries : la sienne et puis la France ». Comment s'étonner ensuite, qu'une « identité nationale » ainsi définie ne conduise pas à la justification, abusive jusqu'à l'absurde, du « jus soli ». Le « droit du sol », soit, mais à l'époque où il a été défini par le législateur quels étaient les circonstances, la nature, l'ampleur et la qualité des flux migratoires ? S'agissait-il de migrants internes aux limites de l'Empire français ? De migrants artistes ou intellectuels, pour lesquels s'instaura, quoiqu'on puisse en penser, le droit d'asile « politique » ? D'artisans qui, sur les mêmes bases identitaires, chrétiennes et philosophiquement compatibles, apportaient quelque chose de plus à l'édifice commun avant de se fondre dans une partie de l'ensemble ?
Ou étaient-ce de simples réfugiés économiques, attirés par la manne que dispense un système social dévoyé, qui en six mois redresse les courbes statistiques démographiques des « nationaux », dont l'utilité véritable ne se retrouve que dans l'apaisement qu'ils apportent aux princes ethnocidaires qui souhaitent prolonger l'existence de leurs gouvernements ?
Nous voyons aujourd'hui, alors que les frontières entre les États d'Europe viennent d'être supprimées, que la confusion perdure. Si nous sommes français, ou allemands … c'est parce que nous le sommes de Normandie, de Bavière ... La volonté suicidaire qui abaisse les frontières intra européennes ne fait que prolonger celle qui hier ne voulait plus voir « cracher par terre et parler breton »au nom de la prétendue « unité du peuple français ».
« L'histoire de son pays est nécessaire pour tout homme éclairé qui ne veut pas vivre comme un étranger dans sa patrie » posait le Chancelier d'Auguesseau.
Si, pour certains, la France « patrie des Droits de l'Homme » est née en 1789, d'autres, non moins dangereux pour nos existences régionales, voudraient conforter l'unicité et l'indivisibilité de son histoire, du mésolithique à nos jours, comme si les dieux anciens avaient devancé la volonté divine des chrétiens en faisant de notre « pré carré » la citadelle d'un destin messianique.
Nous subissons, ici encore, un assaut de l'intelligentsia centralisatrice. L'Église et la Monarchie capétienne, pour assurer leur stabilité politique vis à vis des grands féodaux, se sont cherché des racines auprès de Charlemagne, de Clovis et de l'Empire Romain. Après la défaite de 1870, la république fera du vaincu d'Alésia le premier héros national de notre histoire.
Monnaie gauloise à l'effigie de Vercingétorix
Cette vision romantico-cocardière conduira à l'auto-génocide européen de 1914-1918, Droits de l'Homme oubliés le temps de sauver la Patrie. Mais les millions de morts de toutes ces vaillantes armées ne doivent pas nous faire oublier que Charlemagne « Empereur à la Barbe Fleurie » était un germanique dont le Palais d'Aix la Chapelle est aujourd'hui à Aachen, que Clovis était un Franc donc un Belge, et que, pour en finir, l'Empire Romain, si il a laissé des scories fertiles et civilisatrices, n'en demeure pas moins un phénomène totalement allogène au Nord de la Loire. Accepter que l'on fixe les bases d'une France mythique sur de telles allégations, relève d'une l'élucubration du même ordre que prétendre que, consécutivement à l'occupation « Anglaise » des Plantagenets, Bordeaux est une ville Scandinave !
Lorsque Bernard-Henri Lévy fustige « les communautés de faits d'abord. C'est à dire de ‘race’, de ‘terre’, de ‘terroir’, de ‘région’, de ‘nation’, que sais-je encore, toutes les communautés incarnées (…) dont l'horizon me parait toujours être l'enfermement, la violence et finalement la barbarie » pour magnifier « les autres, les communautés de verbe, de loi, de papier, d'idéal. Des communautés sans ancrage, des rassemblements sans frontières, des identités cosmopolites et toujours transgressives » ; il fait plus que prolonger les vieilles racines du démon jacobin, il apporte surtout la terrible preuve de sa méconnaissance des réalités qui tissent le vieux fond « français » comme celle de son mépris pour ceux qu'il prétend « aimer ». Comment Bernard-Henri Lévy peut-il nier, ou tenter de faire admettre, que les nations, régions, terroirs ou terres habités par des individus, possèdent autant de marques de civilisation transmises par la parole comme par l'enracinement alors que le souvenir quasi mystique d'un terroir propre peut rester vivace jusqu'à justifier une ardente réappropriation qu'aucune sanction ne doit réfréner ? Comment nier que les sociétés, quelques soient leurs lois, subissent les idéaux de leur temps ? Que les Empires, s'ils ont permis des rassemblements par-delà les limites étatiques ou ethniques, n'ont jamais interdit aux citoyens de vivre et de prospérer au rythme de leurs traditions ancestrales ? Comment peut-on oser espérer faire admettre que dans la permanence du chaos, donc de la violence, de la barbarie, qui sont d'authentiques enfermements, l'on puisse maintenir des communautés sans racine, toujours transgressives, puisque qu'elles s'opposeraient aux lois et à la survie des communautés ? Bernard-Henri Lévy confirme par ses propos sa filiation troublante avec ceux qui niaient, hier encore, les particularismes mais se servaient de leurs références (clochers, campagnes, épouses, mères) pour conduire les nations européennes à l'hécatombe ! Il montre, à suffisance, que toutes les façons d'être ennemi des identités françaises, si elles poursuivent des buts différents, se valent et se rejoignent dans leurs méthodes.
Que l'on défende une France pluriethnique et/ou multiculturelle, dans ces conditions exo-centrées, n'est qu'en apparente opposition avec ceux qui s'adonnent à une vision exclusivement autocentrée sur Paris. Leur querelle n'est qu'une dispute sur une question de niveau : les uns tiennent pour l'intégration sur un modèle américanisé, les autres pour un melting-pot ou la carmagnole feraient la farandole avec les rois de France autour de Notre Dame de Paris ou dans les jardins de Versailles. L'un comme l'autre relève du même appauvrissement cérébral. Ne pas savoir s'accepter Breton, Normand ou Picard, c'est ne pas savoir s'aimer Français. Prétendre que vouloir maintenir nos réalités millénaires enracinées dans nos terroirs est une position d'enfermement, plus que vouloir nous rendre étrangers les uns aux autres, nous rend avant tout étrangers à nous même. C'est une confusion regrettable, mortelle pour nos communautés de destin, qui interdit tout avenir européen.
Les exemples de relecture de l'histoire donnent plus souvent lieu à réflexion que de sujets à digressions. Si la France fait partie de l'Europe, c'est parce que, au-delà de sa diversité interne, elle est très majoritairement indo-européenne de peuplement. Dans ce cas il nous faut admettre que notre vision contemporaine de la France, germanique au Nord, latine au Sud, celtique dans son ensemble, est anachronique si l'on accepte de ne la considérer que sous le seul concept de nation développé depuis 1789 dont on ne peut regretter les conséquences tout en défendant les principes.
La France procède de la race indo-européenne, mais ce peuplement s'est échelonné sur une période allant de – 4.000 à – 3.400. Cette longue période a permis aux hommes de s'intégrer aux paysages qu'ils ont façonné, aux autres peuples qui occupaient antérieurement notre espace européen, avec plus ou moins de bonheur pour les premiers occupants, et de recréer des îlots de particularismes. Ce sont ces espaces et ces hommes qui ont créé les regroupements tribaux, ces nations qui s'appliquent à prouver une filiation des individus avec un héritage moral et spirituel plus que matériel, à leur sang, à leurs œuvres et qui perdureront au moyen-âge avec, par exemple, la Nation Normande au quartier latin de Paris. Les patries, terre des pères, existent, complémentairement aux nations, et sont l'héritage matériel d'un patrimoine fruit du travail ou du génie créateur.
Cet essai de définition de nation et patrie posé, nous tiendrons pour admise la notion de Nation aux peuples européens avant l'invasion romaine ou aucune trace d'un quelconque destin commun propre à l'hexagone n'a pu être révélée. La défaite d'Alésia montre, au contraire, que la Gaule n'était pas la France telle que nous la concevons, mais une fédération informelle de peuples celtes dont le modèle se retrouvait de l'Irlande au Piémont et de l'Ibérie à la Belgique. L'action « civilisatrice » de Rome, puis la pénétration du christianisme, respecteront ces espaces dénommés pagi pour la circonstance. En 280, l'empereur Dioclétien jettera les bases d'une nouvelle entité administrative, la Seconde Lyonnaise. Où les pagi deviendront diocèses d'Église. Donc, virtuellement, la Normandie existe dès le IIIème siècle, la France pas encore. Cette dernière ne deviendra potentielle qu'avec l'arrivée de « barbares » ayant à leur tête Clovis, chrétien jugé « païen » car épousant les dogmes d'un prêtre hérétique d'Alexandrie (Arius). Mais l'arrivée des francs n'est pas pour autant la création d'une entité France. Les domaines sont mouvants pour cause de partages lors des successions, et il existera simultanément plusieurs Francie, mais toujours une seule Seconde Lyonnaise. Charlemagne fut un empereur d'Occident préoccupé de la « défense » de ses marches, même maritimes, mais en Neustrie existait une colonie saxonne dans le Bessin et en 987 le royaume capétien tenait plus d'une succession de fiefs, parfois reliés entre eux, et d'une clientèle mouvante, que d'une véritable entité territoriale. Il faudra attendre la fin de la Guerre de Cents ans pour que l'on parle enfin de royaume de France. Et l'idée d'uniformité fit lentement son chemin dans l'oubli d'une pucelle bourguignonne qui devait devenir, très tardivement, un des symboles de l'unité française. Reconnaissance de circonstance, Jeanne d'Arc ne sera canonisée que six siècles après son supplice, au même titre que Vercingétorix sera le saint de la France laïque et revancharde d'après 1870 … Mais d'unité française point encore, puisque les féodaux, au siècle de Louis XIV, menaient la Fronde pour préserver leurs privilèges (entendez particularismes).
Donc, de – 4.000 au XVIIème siècle pas de France-Une-etc., pas de pré carré, fût-il capétien, cette notion sera créée par Louvois pour justifier la politique rhénane du Roi Soleil. Pas de France comme nous la concevons, appauvrie, triste, uniforme, américanisée, mais des Nations reconnues jusqu'au 4 août 1789. De ces Nations qui participaient à enrichir cet esprit qui partout nous caractérisait, sans jamais nous renier, aux yeux de nos voisins. Ne serions-nous devenus français que par rapport au reste de l'Europe ? Vouloir, à partir de cela, faire de la France une personne bien réelle, par ses monarques, puis une divinité laïque relève du fantasme. Que l'originalité des cultures fédérées sous l'appellation générique de « culture française » ait ébloui, avant de leur servir de modèle, toutes les cours d'Europe n'empêchera jamais de nous souvenir que ces richesses trouvaient leurs racines dans nos provinces, héritières de patrimoines particuliers érigés sur un vieux fond commun d'habitudes bordurières.
François Delaunay
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