L'histoire de la forêt est bien connue sous nos latitudes, et si il reste à éclaircir les raisons de sa présence en des lieux plutôt que d'autres, force est de reconnaître qu'il s'agit là d'une querelle d'école entre historiens et géographes. Car les uns tiennent à la nature et à la situation des sols, tandis que les autres justifient du labeur des hommes. La Normandie, où tout se note depuis fort longtemps, apporte sur le sujet un regard qu'il est intéressant de rappeler. C'est sous les divers mouvements de population que les limites des forêts de Normandie se sont développées, éteintes voire déplacées. Les facteurs humains, démographie, invasions, sociaux et politiques auront en définitive plus fait et défait la sylve Normande que les raisons géologiques et climatiques aux quelles nos ancêtres durent se plier. Il convient de noter que l'usage du mot « forêt » est différent au moyen-âge, et, comprend ce qui est en dehors « FORS» de l'usage commun ; à ce titre il existait donc des forêts d'arbres, d'eau, de pêche de poissons.
La première originalité de la forêt Normande tient à la protection du Parlement de Rouen qui réglemente jalousement ce capital que la nature avait offert à la Duché. Cette attention permit donc de préserver nos massifs forestiers à l'exception des forets de Bleu et de Bray victimes de leurs paroisses bordurières. La forêt étant comme nous le verrons source de profits pour l'économie médiévale, il convenait d'en spécifier les usages afin que la vie intense des clairières et sous-bois puisse permettre à l'ensemble de la collectivité, jusqu'à aujourd'hui, de jouir d'un bénéfice qui est malheureusement épuisable.
Dans une forêt, c'est une évidence, on trouve du bois. Longtemps ce matériau a été utilise comme l'équivalent de l'acier et du charbon. Ce double aspect aurait du suffire à expliquer la disparition des forêts, mais toute une série de coutumes et de lois ont concilié l'intérêt direct des usagers qui venaient y prélever pour satisfaire leurs besoins et celui, non moins louable et indirect, de ne pas voir dilapidée en une ou deux générations, ce capital renouvelable à long terme. Les populations avaient donc le loisir de prendre le bois sous certaines conditions restrictives, qualité des essences, bois de « caables » (chablis), ou arbres de mauvaise qualité. Ces usages se virent confirmés en 1315 - 1376 - 1402 - 1519. La délivrance de ces usages était soumise à l'appréciation des verdiers (forestiers) qui réglaient la coupe des essences nobles et veillaient à ce que la coutume ne devienne pas abusive voire mercantile.
La Normandie était province maritime et ses chantiers navals importants en nombre étaient gros consommateurs de chênes et de hêtres. Mais elle devait aussi fournir les bois de construction pour sa population contre privilège ou rémunération.
En milieu rural, réconciliant seigneurs et vilains sur la propriété des eaux et forêts, le coutumier légiférait sur la fourniture en bois pour la construction des haies, entretient et renouvellement des charrettes et gérait la fonction pastorale de la forêt avec une telle précision que leur superficie pouvait être estimée au nombre de porcs qu'elles pouvaient supporter. Ici encore, les animaux étaient soumis à des règlements différents selon les espèces. Certaines devaient être parquées d'autres marquées (stabulation libre). La forêt était donc utilisée comme complément de récolte et permettait de concilier culture et élevage.
L'usage sur les fruits était aussi apprécié, les vergers cultivés, ou vergers de plains, étant d'une pratique assez tardive, la récolte des pommes, poires, nèfles, prunelles, noix, fresnelle… était une pratique toute aussi courante que le fauchage des landes (lande = lündr = forêt), le ramassage des feuilles, de la marne ou de la tourbe des mares pour amender les terres.
La forêt du moyen-âge, par ses réserves de bois de construction, de combustible et par ses ressources fourragères et alimentaires jouait donc un rôle providentiel.
Mais la forêt était aussi le refuge des bêtes sauvages, ces fauves que les princes réservaient à leur exclusif plaisir constituaient un droit qui se renforça avec la réfaction du gibier, et généra nombre d'obligations pour les vassaux moyennant aides ou privilèges particuliers.
Parmi les animaux « sauvages », les abeilles, ou mouches à miel, faisaient l'objet d'une attention toute particulière. À l'époque où le miel était un produit alimentaire, thérapeutique et servait de base à la fabrication de l'hydromel et la cire produisait un éclairage de meilleure qualité que le suif, la possession d'un essaim était source de revenus qui eux-mêmes gêneraient dîmes et redevances.
Nous l'avons déjà dit : le rôle du bois était primordial pour la construction au moyen-âge, mais il était tout aussi important pour les professionnels. L'outillage des ruraux était prélevé dans les forêts ainsi que celui des boulangers, bouchers, tisserands et forgerons. Les forêts fixèrent aussi les communautés des verriers, forgerons, charpentiers qui trouvaient sur place la matière première dont ils avaient besoin. Au XVIIIème siècle l'Ouche, la Champagne et la Franche-Comté sont les trois grands centres sidérurgiques de France. En Normandie six barons « fossiers » représentent la maîtrise des « ferrons de Normandie » et tiennent leur siège à Glos-la-Ferrière (forêt de Breteuil). Les verriers trouvent, sur des terres délaissées par l'agriculture, bois, sable et fougères utiles à leur industrie, les potiers et tuiliers le bois et l'argile. Sur les arbres, tanneurs et cordiers prélèvent de l'écorce des chênes le tanin et avec celle des tilleuls les cordiers tressent. Les vanniers les apothicaires ne sont pas en reste.
De cette vie, l'administration ne reste pas en marge, les forêts sont administrées par l'Échiquier des Eaux et Forêts de Normandie à Rouen, les maîtres et enquêteurs des forêts représentent le pouvoir royal. En Normandie la coutume prime la loi et longue jouissance vaut droit ! Mais ces droits se monnayent : amendes, confiscations, redevances malgré leurs valeurs souvent dévaluées ou obsolètes – pains, œufs, harengs, fer à cheval ... – corvées de paysans, services et obligations des seigneurs, prières des religieux, rappellent que la forêt est une société régie par la loi des hommes autant que par leurs désirs. La forêt mystérieuse et romantique ne vit pas que dans les Contes de monsieur Perrault et les êtres surnaturels fées, elfes, gnomes font partie de l'imaginaire des normands avec les particularismes issus de nos coutumes, de notre histoire : Mesnie Hellequin, légende des bracelets de Rolf, légende du corps nu, culte des arbres guérisseurs, arbres noués et c...
La forêt sera lieu de refuge pour quelques marginaux, ponctuellement, lors d'évènements dont l'origine est bien souvent éloignée du seul bruissement du vent dans les feuilles.Jean HALOT
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