L’évolution des peuples d’Irlande constitue une page d’histoire originale, fascinante et dramatique.
On ne saurait définir autrement les évènements essentiels qui ont caractérisé la destinée de cette île éloignée des centres historiques de l’Europe. Originale et fascinante par la jonction qu’elle a su opérer entre le monde celtique et le monde latin et chrétien. Dramatique par les bouleversements, les souffrances et les difficultés qu’elle a dû supporter et supporte encore aujourd’hui en raison d’une pratique pluriséculaire conquérante, et impérialiste, d’un espace plus puissant.
Commencé au douzième siècle, la conquête de l’Irlande par l’Angleterre est achevée au dix-septième siècle pour être définitivement légalisée en 1800 avec l’Acte d’Union. Ce furent, jusqu’à l’obtention du Home Rule en 1921, sept siècles de malheur.
En 1367, les Statuts de Kilkenny interdisent de parler le gaélique, les mariages mixtes, le port du costume irlandais, l’entretien des bardes, la pratique du forestage (genre d’adoption du droit gaélique). Cette mesure est suivie par la Poyning’s Law (années 1640) qui établit que les textes adoptés par le Parlement Irlandais doivent être soumis à l’approbation de Londres. Ces deux mesures ne sont cependant que des actes paisibles par rapport à ce qui suit au moment où l’Angleterre devient protestante. L’Île catholique va subir une véritable persécution religieuse. Les rois Anglais ne peuvent admettre l’existence, dans les territoires sous leur contrôle, d’une « forteresse du papisme ». En 1536, Henri VII étend à l’Irlande l’Acte de Suprématie et prend pour la première fois le titre de roi d’Irlande.
En 1695, le lord chancelier Bowes dira : « La loi Anglaise ne reconnaît pas l’existence d’une personne telle qu’un catholique romain ». Par les Lois Pénales, l’Irlandais ne peut être ni électeur, ni éligible ; il ne peut rentrer ni dans l’armée ni dans la marine, ni dans aucune profession libérale. Ses acquisitions, son droit de tester, sont strictement limités, le droit à l’instruction lui est refusé. La situation du clergé tourne autour de l’interdiction pure et simple.
Dès le début, l’oppression religieuse se double d’une exploitation sociale et économique. Commencée avant le passage de l’Angleterre à la Réforme, la confiscation des terres irlandaises et leur attribution à des colons Anglais prennent une signification de réelle colonisation et de lutte à la fois économique, sociale et religieuse, précisément dans l’Ulster qui de région la plus gaélique et catholique de l’Irlande, devient une des places fortes des colons Anglais protestants.
Las des violences quotidiennes, les Irlandais se révoltent en octobre 1641. Ceux qui, trente ans plus tôt, ont été chassés de leurs terres, massacrent sans pitié les gens qu’on avait mis à leur place. La riposte est effroyable. La lutte continue jusqu’au moment où Cromwell débarque avec ses soldats en Irlande pour mater la rébellion. D’après certains historiens les cinq-sixièmes de la population ont péri. Ni les femmes, ni les enfants ne furent épargnés et plusieurs villes furent entièrement détruites.
Après les Cromwellian Settlement (confiscation des trois-quarts des terres irlandaises au bénéfice des soldats de Cromwell), ce sont les Actes du début du dix-huitième siècle qui interdisent à l’Irlande d’exporter les laines ailleurs que dans la métropole, d’avoir sa propre marine marchand, et c. Les propriétaires du sol, vivant généralement en Angleterre, obligent les fermiers à s’acquitter de leur fermage en blé, ce qui contraint l’immense majorité de la population à utiliser la pomme de terre comme aliment presque unique.
Aussi, lorsque la maladie de la pomme de terre fait ravage en 1739-1740, les Irlandais sont fauchés par la famine. Bilan : entre 200 000 et 400 000 morts. Cela fut la première famine. Une siècle plus tard, le bilan de la « Grande famine » est plus lourd encore : en quatre ans, plus de 700 000 personnes sont mortes de faim et plus de 800 000 ont quitté l’Irlande sur les trop fameux « cercueils flottants ». D’après le recensement de 1851, la population avait décru de deux millions ! Depuis lors l’émigration ne fait que continuer. Enfin, au plan linguistique, composante indispensable de tout processus de colonisation, l’anglicisation de l’île a été « exécutée » de façon profonde. En 1870, vingt pour cent seulement de la population, concentrés surtout dans la partie occidentale du pays, parlent encore le gaélique. Les efforts accomplis à partir de 1922 par les gouvernements irlandais successifs en faveur des traditions et de la culture originaires gaéliques, témoignent que l’Irlande n’a pas perdu tout espoir de maintenir vivant un patrimoine culturel de l’Europe, au moment où tout conduit à l’uniformisation de nos sociétés.
Nous avons fait mention d’une série de faits desquels découle la guerre civile en Irlande du Nord. Certains n’y voient que la prolongation des vieilles guerres de religion. D’autres n’y voient qu’un épisode de la lutte des classes commencée dès l’attribution aux colons Anglais des terres confisquées. D’autres enfin, n’y voient que la poursuite de la guerre de libération nationale contre l’impérialisme britannique.
La guerre en Irlande est tout cela à la fois.
Le maintien au sein de la Communauté européenne d’une île de quatre millions cinq-cents mille habitants, artificiellement coupée en deux États et ravagée par une guerre civile sanglante, ne devrait pas laisser indifférents les continentaux.
D’après Ricardo Petrella
« La renaissance des cultures régionales en Europe »
Éd. Entente, 1978
Avec toute la sympathie que nous éprouvons à l’égard de Ricardo Petrella, nous reprenons ce texte pour ce qu’il permet de rapprochement entre les catholiques Irlandais et les Réformés Normands qui eurent, eux, le bonheur de vivre au siècle de la Révocation d’un Édit jugé trop tolérant. La Normandie a perdu de la sorte une importante part de sa population, de son savoir faire et de ses traditions ; pis, au schisme religieux s’est substitué un schisme géographique entre les Îles et la Duché continentale.
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