On trouvera ici, pour l'heure, les textes de Runes-Lettres d'O.D.I.N.
qui, à terme, seront complètés des réflexions du groupe de
travail de l'O.D.I.N.-76, de sa création jusqu'à sa dissolution en 1996.



dimanche

La France d'Ancien régime : Généralités

Avec une population de vingt-six millions d'individus, la France de Louis XVI détient démographiquement la première place des pays européens. Le royaume ne recense que cinq millions sept-cent-mille citadins et les parisiens atteignent péniblement le nombre de six-cent-quinze mille âmes.
La France s'éveille à la mécanisation. À côté de ses manufactures et de ses arsenaux royaux apparaissent diverses industries que subventionnent d'importants seigneurs et d'opulents bourgeois. Cependant, de sérieux obstacles freinent l'essor des établissements nouveaux. D'abord, la rareté des banques, l'absence d'une Banque d'État analogue à celle fonctionnant outre-manche, et le défaut de papier monnaie. Ensuite, le traité d'Eden-Rayneval, signé en 1786 qui permet aux Britanniques d'inonder le marché de leurs marchandises. Mettant en parallèle les Bourbons et les souverains anglo-saxons beaucoup d'historiens dénoncent l'indifférence des Capétiens à l'évolution économique. La condamnation se nuance : il est indéniable que la politique de la Couronne dénote plus une vision particulière du monde qu'un manque de clairvoyance pratique.
L'Anglicanisme ne stigmatise pas le trafic d’argent ; mieux, il considère les fortunes issues de lui ainsi qu'une marque de prédestination divine. Le Catholicisme jette l'anathème sur les banquiers. Les Bourbons abordent précautionneusement l'ère du profit matériel. Ils s'affirment les gardiens attentifs des valeurs spiritualistes et chevaleresques.
La royauté française est absolue, mais les lois du roi sont révocables et réformables. Deux bornes les contiennent : « les Lois Fondamentales du Royaume », qui sont imprescriptibles, et « les Institutions Coutumières », qui règlent le quotidien des provinces, des cités, des corporations et des gens. Les Parlements et les États Provinciaux veillent au respect des antiques libertés. On dit les libertés comme on dit les peuples. C'est une conception positive, réaliste et organique.
La société d'Ancien Régime ignore la notion de classe. Ses membres jouissent d'une aisance différente suivant les services qu'ils rendent, les charges qu'ils occupent, les travaux qu'ils accomplissent, les talents qu'ils exploitent. Le service et la charge engendrent des privilèges le plus communément honorifiques, qui règlent la vie sociale des trois Ordres.

Le clergé comprend cent-trente mille personnes, réparties sur cent-trente-cinq diocèses. Les prélats affichent en majorité des idées philosophiques incompatibles avec leur sacerdoce. Les simples tonsurés voient quelquefois le bénéfice de leur cure les hisser de la misère à la pauvreté. Les vingt-mille moines et les quarante-mille religieuses subissent les diatribes des philosophes, les critiques des économistes. L'éclatante prospérité masque la précarité trésorière de l'« Église en France » qui frôle le déficit. La Dîme permet difficilement d'acquitter le « don gratuit » voté au roi tous les cinq ans.
Quatre-vingt-deux-mille familles constituent le deuxième ordre. La noblesse d'épée s'acquiert à l'exercice du métier des armes. La noblesse de robe s'obtient en remplissant une charge ou un office. La noblesse de cloche dérive de l'acceptation de responsabilités municipales majeures. La noblesse, qu'accule à la gêne les prohibitions professionnelles, réagit aux alentours de 1780. Cette « réaction nobiliaire » achève d'irriter le Haut-Tiers impatient de considérations et froisse le paysan. Les Droits féodaux, de faible rendement, humilient plus encore qu'ils ne blessent.
Les nobles se flattent entre eux de l'ancienneté de leur lignage, contrastent par leur train de maison. Les hobereaux, l'agriculture ne déchéant point, sèment, récoltent, partagent les conditions de vie des paysans dont ils sont les voisins.
Fondement d'un système social où le sacrifice prévaut sur l'or et l'égoïsme, la noblesse proclame son identité avec maladresse. Novatrice ? Conservatrice ? Elle est sourde aux grondements de l'orage qui approche.
Le Troisième Ordre regroupe les roturiers, inégalement nantis :
Dans les villes réside la Bourgeoisie, et distinguée d'elle la Plèbe des domestiques, manouvriers et indigents. Les hauts bourgeois s'adonnent à la finance ou à l’industrie ; ils traitent en leurs hôtels les écrivains et les artistes. La Bourgeoisie méprise conjointement la populace des rues et la paysannerie. Envieuse, elle aspire à évincer la noblesse des honneurs.
Les « manants » – du latin maneo : celui qui tient – se répartissent en quatre catégories : laboureurs, fermiers, métayers, valets et journaliers. Le campagnard est aussi cabaretier, bûcheron, sabotier, voiturier, maréchal-ferrant, colporteur, et concurrence les humbles qui peinent aux tâches indispensables à l'équilibre rural.
La paysannerie tient quarante pour cent du sol où la pénurie d'engrais motive l'usage de la jachère. Les villages conservent des biens communaux accessibles à chacun. Les progrès que préconisent les Intendants Provinciaux et les Physiocrates inquiètent : suppression de la jachère, prairies artificielles, partage des communaux, autant de changements dont on ne comprend guère la finalité.
Le roi, dépositaire des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, supervise conseils, bureaux et commissions. Mais, dans les provinces la loi se modifie. On ne peut faire un pas sans trouver des lois différentes, des privilèges de toutes espèces. La loi s'adapte aux particularismes des Pays d'État et des Pays d'Élection.
Dans les Pays d'État, les États Provinciaux se préoccupent de préserver la spécificité des traditions que deux-cent-quatre-vingt-cinq coutumes perpétuent au nord de la Loire.
Dans les Pays d'Élection huit Parlements, dont celui de Rouen, vérifient les lois, jugent en dernier ressort et rendent les arrêts d'administration publique.
Les circonscriptions administratives ne coïncident pas. Les six diocèses, les trois généralités de Normandie, les gouvernements militaires et les baillages se chevauchent. L'Intendant est roi dans sa province. Les Parlements, les États, le Lieutenant-général, rognent son omnipotence.
Le fisc prélève deux sortes d’impôts : l'impôt direct, sur le revenu et sur les biens. L'impôt indirect, les Aides, les Traites et la Gabelle. Le mode de perception de ces impôts varie selon la province. Le clergé est exonéré des impôts directs, la noblesse de la Taille. L'Intendant répartit l'impôt entre les paroisses. Les populations exècrent les agents de la Ferme et les préposés à la répression de la fraude : les gabelous suscitent des haines inexpiables.
Le bonheur français commence à se dégrader en 1778. Les trop belles moissons provoquent l'effondrement des cours. La libre circulation des grains n'enrayera pas la catastrophe céréalière. En 1785, la sécheresse fane les herbages. La détresse des campagnes se répercute sur l'industrie et les fabriques.
Afin qu'ils l'aident de leurs suggestions, le monarque convoque le 22 février 1787 cent quarante-quatre notables. Le 25 mai, les « sages » ne lui proposeront rien de concret. En 1789, Louis XVI, répondant aux souhaits des libéraux, convoque, le 1er mai, les États-généraux. Aussitôt le Tiers exige le doublement de sa députation, et le « vote par tête » à la place du coutumier « vote par Ordre ». Le 4 août, les États-généraux, devenus Assemblée nationale, abrogent les privilèges des provinces, jugés « féodaux ». L'Assemblée nationale morcelle la France en quatre-vingt-trois départements ... devenus égaux en droit mais surtout isolés devant la puissance de Paris qui s'arroge l'exclusivité du civisme.
Francois Delaunay

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