On trouvera ici, pour l'heure, les textes de Runes-Lettres d'O.D.I.N.
qui, à terme, seront complètés des réflexions du groupe de
travail de l'O.D.I.N.-76, de sa création jusqu'à sa dissolution en 1996.



mardi

Hors-série n°2




Éditorial
...de Jean Mabire

Dans la forêt sont réunis l'arbre, la pierre et l'eau des sources ou des fontaines. Ces trois éléments caractérisent les sanctuaires des anciens, dont les croyances religieuses se célébraient parmi le chant des oiseaux et les frémissements de la lumière à travers les branches.

Comme la pierre, l'arbre devenait pour l'homme de cette époque une présence sacrée. C'était un être vivant, dont la vie même se chargeait de symboles et de forces divines. On n'adorait par l'arbre pour lui-même, mais pour ce qu'il se révélait en lui de supérieur et de divin.

L'arbre qui croit vers le ciel, qui perd ses feuilles à l'automne et les retrouve au printemps, incarne l'image sacrée de l'univers, de l'éternel flux et reflux de la vie et de la mort. Les anciens avaient du temps une vision cyclique différente de notre conception moderne.

La vie de l'arbre illustre parfaitement cette vision où la mort est nécessaire à la régénération de la vie. Comme l'homme, l'arbre a son destin, et sa mort n'est pas une fin en soi.

Rappelons que les Celtes croyaient tant à la vie dans l'autre monde qu'ils prenaient des paris remboursables après leur mort, dans l'au-delà ! L'homme subit les agressions du temps et de la vie, l'arbre celles des saisons et des intempéries. De la même manière que l'être humain, l'arbre est un réceptacle du sacré.

La forêt préserve les forces élémentaires et primordiales. Elle contient elle-même ce qui était, ce qui est, ce qui sera... La mort des vieux arbres enrichit la terre pour nourrir les nouvelles pousses. C'est le cycle cosmique des naissances et des destructions. Encore un motif de sacraliser la forêt.

La forêt n'est pas seulement une juxtaposition d'arbres. Elle est aussi un être collectif, un destin. Un monde fourmillant de vie, de présences, de mille petits bruits furtifs. Un monde clos où l'homme peut se sentir à la fois protégé et menacé, selon l'état de son propre cœur, selon la confiance qu'il porte en les dieux, en lui-même.

« HISTOIRE SECRETE DE LA NORMANDIE »
  ALBIN MICHEL -1984.

« Encore faut-il choisir sa vie
   et savoir ne pas sacrifier la qualité à la quantité »
Bernard FONTALIRAND

Vérités qui font mal sur l'agriculture

Depuis que les paysans se sont mis en tête de devenir des « entrepreneurs agricoles », répondant en cela à de funestes chimères technocratiques, tout va de Charybde en Scylla. Bienheureux le temps où, tout sentimentalisme désuet mis à part, le cultivateur-paysan respectait son environnement, conscient que sa valeur foncière représentait un patrimoine devant faire l'objet d'une gestion soignée pour qu'il y ait quelque chose à transmettre.

LA DÉSERTIFICATION DES ZONES RURALES S'APPARENTE A UNE DEVITALISATIION DE L'ESPACE RURAL.
Le rêve d'une France rurale a la vie dure. Pourtant les agriculteurs sont trois fois moins nombreux qu'il y a 30 ans, et ce ne sont plus des paysans. Avec 3 047 000 hectares la Normandie occupe 1,7% des terres de la C.E.E. ; 63 % des terres labourables y sont utilisées par rapport à la Surface Agricole Utile (S.A.U.), pour 77 500 exploitations agricoles en 1988, soit un recul de 15 000 exploitations (-17%) depuis 1970. La diminution de 2,2% par an des exploitations agricoles confirme la difficulté du remplacement des personnes en âge de prendre leur retraite, malgré le maintien de l'activité au-delà de 65 ans. Coûts d'installation, poids de l'investissement foncier, emprunts, manque de garanties pour les débouchés, limitation de la production ... entraînent un abandon des terres et de l'habitat contigu dans la proportion d'une installation pour cinq départs.
Les 105 169 nouveaux arrivants dans les communes rurales de « haute »-Normandie ne doivent pas faire oublier que, sur la même période, 8 000 habitants ont quitté les communes de moins de 200 habitants depuis 1970, il semble désormais acquis que la désertification des zones rurales, plus qu'un phénomène de dépopulation, s'apparente à une dévitalisation de l'espace rural.
L'attachement à la terre, lié aux idées de sous-développement, voire d'archaïsme, à laissé place à l'agriculture industrielle et à l'élevage intensif où !e patrimoine-terre n'est plus qu'un outil de travail se dévaluant. Depuis 1970 les sols arables ont perdu 46% de leur valeur en francs constants.

DES RESPONSABILITÉS POUR LE MOINS PARTAGEES.
Face à une situation aussi catastrophique – une exploitation agricole disparaît toutes les 20 minutes en France – on est en droit de se demander si – perdants d'hier, d'aujourd'hui et à venir mis à part – tout ce monde a bien lieu de se montrer aussi pessimiste. Le marché et les profits sont gigantesques, voire démesurés, et les enjeux dépassent, de loin, le seul aspect verdoyant de nos campagnes.
Aujourd'hui la mode est aux quotas laitiers, aux viandes contingentées à l'importation, au gel des terres agricoles. Il serait hâtif de conclure qu'il s'agit d'une évolution gravée dans le marbre des destins immuables, ou que la situation résulte des conséquences des tares de « la société ». Les responsables sont connus, ne se cachent même pas pour agir : « ils » occupent les rues pour y manifester leurs légitimes inquiétudes et mécontentements, donnent des conseils avisés aux gouvernements, qui n'en peuvent mais plient l'échine – à Bruxelles ou ailleurs – sous les ukases des Américains au sein du G.A.T.T. (1).
Beaucoup de monde… ou trop de monde ? Les responsabilités sont multiples et le nombre des intéressés ne justifie pas plus la seule dénonciation d'un seul groupe de responsables que le renvoi à des causes inconnues et indéfinissables. Il suffit de comparer l'évolution du nombre d'exploitations agricoles pour trouver le premier maillon de la chaîne des responsabilités. En 25 ans la proportion agricole du monde rural est passée de 50 à 22% ; en 25 ans la C.E.E. a perdu 15 millions d'emplois agricoles. Le paysan traditionnel, celui qui « respectait les lois de la nature », sous les encouragements des ingénieurs agronomes, s'est endetté pour se moderniser, s'agrandir, gagner sur les parcelles lors des remembrements, complice des industries chimiques gagner encore sur les rendements.
Là où le bât blesse, c'est lorsque l'on apprend que l'augmentation des excédents augmente les coûts de stockage, et a pour conséquence l'augmentation des prix de vente tout en abaissant les revenus agricoles. Ce schéma pourrait être corrigé par une baisse de production, il n'en n'est rien. Le gel des terres, au lieu d'être un stabilisateur du marché est un facteur déséquilibrant supplémentaire. Cette mise en jachère, proposée par la C.E.E. est une pratique abandonnée depuis plus de 60 ans en « haute » - Normandie. Les primes, inégales suivant les pays, ne couvrent même pas les charges de structure. La politique des quotas (2) a permis le maintien du prix du lait au détail au seul profit des gros producteurs laitiers qui ont renforcé leurs pouvoirs. En 25 ans, le prix du blé a augmenté de 25%. La politique céréalière a bouleversé le paysage économique, celle des prix a favorisé les excédents et l'hypercentralisation des entreprises agricoles, soit les 25% « plus performantes », a absorbé 75% des aides communautaires. Les excédents céréaliers ont été réinjectés dans la chaîne alimentaire des ruminants, mais, même sous forme de viande, nous ne pouvons absorber plus d'une tonne de céréales par habitant et par an.

LA MAUVAISE NOURRITURE N'EST QUE LE REFLET
DE LA MAUVAISE SANTÉ DE LA TERRE QUI NOUS NOURRIT.
Rompre le cycle en taxant les engrais qui sont à l'origine de ces rendements délirants causerait la ruine des céréaliers, mais surtout celle des industries chimiques (3) et agro-alimentaires (4) qui sont les vrais bénéficiaires des subventions agricoles, tandis que le consommateur, leur première victime, consomme en moyenne 1,5 kg. (5) de produits chimiques alimentaires par an. Stress, maladies cardio-vasculaires, cancers et autres « accidents » ne sont que le reflet de la mauvaise santé de la terre qui nous nourrit.
Mais qu'importe ! L'ouverture des nouveaux marchés vers les Pays de l'Est, nouveaux Eldorados ajoutent plus d'intérêt à la course à l'arme alimentaire. Les principaux acteurs sont les laboratoires de la pétrochimie où s'élaborent les nouveaux hybrides qui ne pourront se développer sans l'aide des engrais complémentaires indispensables à leur croissance.
Science fiction ?
Actuellement aux États Unis d'Amérique, trois organismes détiennent 80% des brevets du haricot, deux organismes contrôlent 100% du marché du chou-fleur, un organisme monopolise la production de l'aubergine. Et de bons penseurs ont déterminé que quinze espèces pouvaient suffire à assurer l'alimentation végétale de l'ensemble de la population humaine.
Propos alarmistes ?
D'ici 2050, un quart du patrimoine génétique végétai mondial, soit 60 000 espèces, aura disparu.
Au XIXème siècle, 10 000 variétés de pommes étaient recensées, aujourd'hui 4 sont commercialisées. De 9 blés cultivés, 3 sont encore utilisés parce que leurs rendements dépassent les 100 quintaux à l'hectare.

LE MONDE PAYSAN « PESE » ...
DEUX MILLIARDS DE DETTES.
Nous voici bien loin du « malaise paysan », mais s'il est éprouvant pour un exploitant agricole de « mettre la clef sous le paillasson », l'histoire ne fait qu'accélérer son mouvement depuis les prémices de la dernière révolution agricole. La course à la rentabilité, coûte que coûte, a aussi son revers. Les années d'aujourd'hui dites « mauvaises » auraient paru utopiques, il y a 30 ou 40 ans. Jamais la terre n'a autant donné, jamais l'âpreté n'a autant généré le besoin de gagner plus encore.
Produire, la belle affaire, lorsque les cours s'effondrent et qu'il faut, malgré tout, rembourser les annuités des beaux parleurs du Crédit Agricole. Et, malgré les faillites, la capacité productrice agricole doit être encore bien portante pour que le Crédit Lyonnais et la B.N.P. soient venus rejoindre le marché des prêts à l'agriculture !
Qu’est-il devenu le paysan d'hier, qui, prudent, mesurait son épargne ?
Il représente environ 10% du fond de commerce du Crédit Agricole, 20% de ses dépôts, mais aussi 40% des emprunts : il pèse 2 milliards de dettes, que le banquier a garanti par des hypothèques, se rendant virtuellement propriétaire des trois-quarts des surfaces agricoles.
En échange il a subi les bienfaits de la mécanisation, les nouvelles techniques, les nouveaux engrais ... Allant de miracle en miracle, chacun a tressé sa corde financière pour mieux se faire pendre.
Bilan attristant pour le monde agricole, alarmant pour notre société, sinistre pour notre Normandie. Hier prospère, fleuve de lait, paradis de la pomme ... Aujourd’hui amenée, après avis de personnes dûment diplômées à détruire ses haies, combler ses mares et ses talus, araser son Bocage et ses fossés, soit les deux tiers de son paysage d'il y a vingt ans.

DÉTÉRIORATION DES SOLS ET DE L'ENVIRONNEMENT.
Les techniques de production agricole entraînent une détérioration des sois, elles sont encouragées par la notion de « Surface de Référence Économique » (S.R.E.) qui a été substituée à celle de « Surface Minimale d'installation ». Le décret du 23 février 1988 a introduit le concept de rentabilité. Le S.R.E. conditionne l'octroi des aides à l'installation des jeunes agriculteurs et des prêts bonifiés à l'agriculture. C'est en fait une incitation à l'extension de la surface des exploitations et, donc, à l'accroissement de la surface des parcelles cultivées.
On pourra prétendre que les collectivités incitent au reboisement. Dérisoire ! Les aides en nature attribuées en 1988 représentaient 30 kilomètres de restauration (6). Le reboisement ainsi réalisé correspondrait â. 1,45 mètre en moyenne par exploitation cotisant aux caisses A.M.E.X.A.
La disparition des arbres et des haies est une des causes du problème rural. Ces barrières végétales avaient pour fonction de protéger les hommes, les cultures et les animaux des effets du vent. La réduction du vent, permise par les haies, modifiait le microclimat et les équilibres biologiques : gains de production pour les cultures et l'élevage, protection des habitations, préservation de la faune sauvage, approvisionnement de la filière-bois (foret linéaire), régulation des eaux.
Regrets passéistes pour une Normandie « carte - postale » ? Non ! Toutes ces déprédations, commises au nom du progrès, n'ont pas permis d'augmenter, à qualité égale, les sacro-saints rendements à l'hectare. Au contraire elles ont conduit à l'appauvrissement de la couche d'humus qui, par endroit, approche le seuil d'érosion, auquel sont déjà rendus 10 millions d'hectares de terres françaises (7),

LA MAIN MISE « MONDIALISTE » SUR L'AGRICULTURE.
Évolution des mentalités, industrialisation, endettement aux limites de la viabilité des exploitations ; sombre tableau, auquel il faut ajouter maintenant le risque de voir s'instaurer une mainmise des États ou du grand capital international sur l'agriculture par le biais des marchés céréaliers.
C'est un divorce entre l'homme et la terre autrefois nourricière, aujourd'hui objet de calculs de rentabilité, induisant, au-delà du profit immédiat, chômage agricole, maladie des consommateurs, pollution des sols et des eaux.
Lorsqu'en 1985 la C.E.E. déclare : « l'agriculture entretient et protège le paysage », l'Allemagne et la Grande Bretagne mettent en place un système de subventions pour encourager le maintien d'une agriculture traditionnelle. En France la F.N.S.E.A, refuse cette mission ! Quels intérêts véritables défend ce syndicat ? Des pays traditionnellement considérés comme les plus industrialisés d'Europe seraient-ils les seuls à pouvoir comprendre « qu'il ne peut y avoir de géographie qu'humaine » (M. Genevoix) ?
Le paysan est le grand perdant, entend-t' on dire. Oui, mais que reste-t-il de paysans chez ceux qu'on nous présente ? Ces entrepreneurs agricoles, ou « agri-managers », qui, avec leur bon sens, ont pollué les nappes phréatiques ? Ceux-là même qui nous parlaient du bon air de la campagne et ne savent plus que faire de leur lisier ? Ceux qui ont aidé à la reconversion du complexe militaro-industriel en épandant toujours plus de nitrates ? Peuvent- ils mériter mieux que l'équation trop de lait + trop de blé = trop de paysans ?
Alors que la diminution du nombre d'exploitations agricoles n'a jamais empêché la surproduction, les paysans sont devenus une élite ultra-performante condamnée par l'économie à la logique de la réussite, donc à leur disparition.

L'IMPÉRITIE DES PLANS TECHNOCRATIQUES PARISIENS ET BRUXELLOIS.
Syndicalistes, dirigeants de coopératives agricoles, banquiers, gouvernants, tous manquent d'imagination, de courage, de volonté. La friche des années 80 est la conséquence d'une abdication, c'est le renoncement, à valoriser le pays qui conduit à interroger les décideurs : un État reste-t- il pleinement souverain lorsqu'il n'est plus en mesure de contrôler le développement et l'occupation de son territoire ? On mesure maintenant dans toute l'étendue de leurs conséquences l'impéritie des plans technocratiques, parisiens ou bruxellois.

LUTTER CONTRE LA DESERTIFICATION.
Que l'on ferme les maternités de campagne, que les équipements scolaires deviennent ingérables faute de fréquentation suffisante, que les hôpitaux locaux semblent limiter à la gériatrie leurs actions médicales, sont autant de manifestations tangibles de la disparition de la population rurale. « La population (agricole) a lâché prise, laissant tout en place, comme on évacue en temps de guerre une position que l'on ne peut plus tenir » disait Fernand Braudel. L'habitat rural, son isolement, le délabrement voire l'insalubrité de certains cadres de vie, traduit sous une certaine forme d'abandon, un désespoir aussi certain qu'informel. Lutter contre la désertification, adapter l'espace rural, protéger et promouvoir le cadre de vie, intégrer les infrastructures sont les axes obligés de la défense de la spécificité de l'espace rural.
La qualité des paysages agricoles ne peut, à l'évidence, se limiter au seul aspect « folklorique » son entretien doit s'appuyer sur une certaine rentabilité. Devant l'incapacité de l'État à rétablir ce qu'il a laissé défaire par ses politiques successives, c'est aux collectivités territoriales de prendre le relais. Le sauvetage de l'agriculture Normande ne saurait se réaliser si la région ne pouvait défendre et faire appliquer ses décisions.
Maintenir les caractéristiques propres aux pays normands, conserver et améliorer ce que les hommes et le temps ont su leur apporter, constituent, outre l'aspect écologique, l'avantage de prouver notre volonté de conserver notre identité normande au travers de paysages travaillés à la mesure de notre histoire.
François DELAUNAY

(1) - G.A.T.T. : 87 pays contractants ; ensemble de règles régissant le commerce international et les tarifs douaniers depuis 1947, sous influence U.S.
(2) - En parfaite contradiction avec les articles 30 à 37 du traité de Rome.
(3) - L'industrie chimique a opéré sa reconversion après guerre, d'armement vers l'agriculture en proposant ses nitrates comme engrais !
(4) - 75% des aliments sont transformés industriellement et sont à l'origine de 45% des pollutions connues.
(5) – 800 produits chimiques nouveaux sont annuellement mis sur le marché sans contrôle prospectif.
(6) - Pour la seule Seine-Maritime, le CAUE. (Pont-aux-Vents, Rouen St-Sever) estime qu'il faudrait replanter 19 kms par an pour stabiliser le massif forestier linéaire…
(7) - Les engrais minéraux solubles ne s'intègrent pas aux sols :
  • 1 parcelle sur 2 n’a plus de réserves de sels minéraux
  • 1 parcelle sur 3 est en déficit de matières organiques.
  • 1 parcelle sur 5 est devenue trop acide.
sources :
 • Rapport du C.E.S.R. de haute Normandie "Quel Monde rural pour l’an 2 000 ? »
 • L'agriculture assassinée, de Jean-Clair Davesnes (Ed. de Chiré)
 • La France en friches, d'Éric Fottorino.
 • Le naufrage de l'agriculture française ; du Docteur Gheno.
 • Le krach alimentaire de Philippe des Brosses, chef e la délégation I.F.O.A.M., membre de la Commission au Ministère de l'Agriculture auprès de la C.E.E., du Parlement Européen.

La forêt Normande

La Normandie, avec une surface boisée de 362 000 hectares (Ha), a un taux de boisement de 12%, moitié du taux de boisement national qui est de 25%. Le département de la Manche avec 3,7% est le département le moins boisé de France. Celui de l'Eure avec 20% est en tête des départements Normands. Cependant le volume de bois moyen récolté par hectare, et par an, est un des plus élevés de France, juste derrière l'Alsace. Cette productivité relativement bonne de la forêt Normande, en quantité et en qualité, est directement liée à sa gestion présente, mais aussi à son histoire.
Avant la conquête de la Normandie par le roi de France en 1204, les Ducs de Normandie possédaient déjà une grande partie de la forêt Normande. Ce domaine forestier va subir peu de modifications jusqu'au XVIIème siècle. Les aliénations d'une partie du domaine, quoique relativement importantes à certaines époques, n'ont pas modifié fondamentalement la consistance du domaine royal, domaine qui représente 200 000 arpents au XVIème siècle (102 000 Ha).
La forêt domaniale aujourd'hui représente 84 500 hectares, soit près du quart de la surface boisée de Normandie. Dans l'ensemble la forêt Normande est moins morcelée que dans d'autres régions (la moyenne par propriétaire est de 3,4 Ha en Normandie, la moyenne nationale étant de 2,6 Ha), Ce qui fait quand même plus de 79 000 propriétaires, dont certains possèdent moins d'un hectare.
La composition et l'aspect de la forêt varie d'un « pays» à l'autre. L'on remarque cependant une prédominance de la Hêtraie au Nord, de la Chênaie au Sud, de la forêt linéaire à l'Ouest (Bocage).
Les forêts ruinées par des siècles de sur exploitation furent restaurées progressivement à partir de 1800-1830. Le Hêtre consommant beaucoup d'eau pendant la saison de végétation, une humidité atmosphérique liée au climat océanique a permis son extension au Nord. Alors qu'au Sud de la région d'Alençon l'essence objectif choisie pour cette restauration était le Chêne.
Il existe également une importante forêt linéaire dans le Bocage à l'Ouest.
En surface le Chêne couvre environ 50%, le Hêtre 18%, les résineux 18% (pin et sapin). La structure des peuplements est traitée en « futaie », en « taillis » et souvent en mélange « taillis sous futaie ».
II existe une relation entre la catégorie de propriété et la structure des peuplements. La futaie domine dans les forêts soumises, elle représente 36% de la surface.
Le taillis sous futaie est très important dans le privé, il couvre 55% de la surface dont un part de plus en plus importante est convertie en futaie.
Le taillis simple qui ne représente que 9% de la surface et dont l’utilisation, peu rentable, est très locale. Bois de feu, chasse.
Pierre HENSEL

L'administration, les structures professionnelles de la forêt Normande

Notre administration forestière régionale a la particularité d'être tantôt Normande (5 départements), tantôt haut-Normande et bas-Normande. Cette situation entraîne des chevauchements de compétence et une certaine dispersion des actes administratifs. À cela il faut ajouter une dispersion de la responsabilité de la gestion Nature Forêt en plusieurs organismes séparés dont :

- le S.R.A.F. (Service Régional d'Aménagement Forestier) : qui est chargé de l'organisation et de l'amélioration de la forêt privée ; du contrôle et de la gestion des investissements forestiers ; de la programmation des interventions du Fonds Forestier National ; des enquêtes statistiques ; de la surveillance de la qualité des eaux de rivière et police de la pêche ; des poursuites en matière de chasse ou de forêts ...

Le S.R.A.F., outre sa division calquée sur les deux régions croupion, a malheureusement un effectif de personnel insuffisant ce qui gêne son activité.

- le S.F.D. : au niveau de chaque Direction Départementale de l'Agriculture, il y a un Service Forestier Départemental (S.F.D.) qui a en charge la protection des formations boisées, des reboisements et équipements forestiers, le contrôle de la gestion des forêts privées ...
- l'I.F.N. : le Service de l'Inventaire Forestier National est chargé de l'inventaire de l'ensemble des forêts dont les résultats sont régulièrement publiés.
- le F.F.N. : le Fonds Forestier National financé par une taxe sur les produits forestiers, donne des aides au reboisement et à l'équipement forestier. Il participe également par des subventions au fonctionnement des C.R.P.F. (Centres Régionaux de la Propriété Forestière) et A.N.D.A. (Association Nationale pour le Développement Agricole).
- l'O.N.F. (Office National des Forêts). Établissaient Public National à caractère industriel et commercial. Sa mission est de gérer les forêts de l'État, celles des Collectivités Locales et des Établissements Publics soumises au régime forestier. Une seule direction régionale à Rouen.
- les C.R.D.A., Chambres Régionales et Départementales de l'Agriculture participent aux actions de développement forestier dans le cadre du Service d'Utilité Agricole : plantations, brise-vents, haies… petites surfaces incultes...
- le C.R.P.F. (Centre Régional de la Propriété Forestière) dont les missions sont : l'élaboration des orientations régionales de production et l'approbation des plans simples de gestion, le développement des groupements forestiers, la vulgarisation des méthodes de sylviculture intensive.

À tous ces organismes s'ajoutent les organismes syndicaux, coopératifs et techniques, groupements forestiers, groupement des producteurs et c...

Pour conclure ce long chapitre sur les diverses administrations forestières, prenons l'exemple d'un particulier propriétaire d'une forêt de trois hectares.
Cette personne peut faire partie d'un groupement forestier, d'une coopérative forestière, ou pas. Elle peut avoir un plan de gestion ou aucun. Si elle veut reboiser, elle peut demander une aide à la D.D.A., aide qui sera financée par le F.F.N. ; les plants seront fournis par une pépinière agrée par le S.R.A.F. ; la plantation peut être faite par une entreprise privée, par une coopérative forestière ou par l'O.N.F.. Le contrôle de la plantation sera effectué à posteriori par la D.D.A.. Si la plantation est un brise vents, des subventions peuvent être obtenues auprès des C.D.A. (1), voire d'un Parc Naturel Régional.
Ce même propriétaire pourra voir le personnel de l'I.S.F.N. passer prendre la mesure de ses arbres, celui du S.P.V. (2) pour estimer l'état sanitaire de sa forêt, les agents assermentés de l'O.N.C. (3) ou de l'O.N.F. pour effectuer les contrôles de la chasse ou de la pêche.

Dans ce long cortège nous en oublions sûrement, qu'ils acceptent nos excuses.

Bon courage tout de même à l'heureux propriétaire de forêt.
Pierre HENSEL

1 Chambre Départementale d'Agriculture.
2 Service de Protection des Végétaux.
3 Office National de la Chasse.

De la forêt en Normandie

L'histoire de la forêt est bien connue sous nos latitudes, et si il reste à éclaircir les raisons de sa présence en des lieux plutôt que d'autres, force est de reconnaître qu'il s'agit là d'une querelle d'école entre historiens et géographes. Car les uns tiennent à la nature et à la situation des sols, tandis que les autres justifient du labeur des hommes. La Normandie, où tout se note depuis fort longtemps, apporte sur le sujet un regard qu'il est intéressant de rappeler. C'est sous les divers mouvements de population que les limites des forêts de Normandie se sont développées, éteintes voire déplacées. Les facteurs humains, démographie, invasions, sociaux et politiques auront en définitive plus fait et défait la sylve Normande que les raisons géologiques et climatiques aux quelles nos ancêtres durent se plier. Il convient de noter que l'usage du mot « forêt » est différent au moyen-âge, et, comprend ce qui est en dehors « FORS» de l'usage commun ; à ce titre il existait donc des forêts d'arbres, d'eau, de pêche de poissons.
La première originalité de la forêt Normande tient à la protection du Parlement de Rouen qui réglemente jalousement ce capital que la nature avait offert à la Duché. Cette attention permit donc de préserver nos massifs forestiers à l'exception des forets de Bleu et de Bray victimes de leurs paroisses bordurières. La forêt étant comme nous le verrons source de profits pour l'économie médiévale, il convenait d'en spécifier les usages afin que la vie intense des clairières et sous-bois puisse permettre à l'ensemble de la collectivité, jusqu'à aujourd'hui, de jouir d'un bénéfice qui est malheureusement épuisable.

Dans une forêt, c'est une évidence, on trouve du bois. Longtemps ce matériau a été utilise comme l'équivalent de l'acier et du charbon. Ce double aspect aurait du suffire à expliquer la disparition des forêts, mais toute une série de coutumes et de lois ont concilié l'intérêt direct des usagers qui venaient y prélever pour satisfaire leurs besoins et celui, non moins louable et indirect, de ne pas voir dilapidée en une ou deux générations, ce capital renouvelable à long terme. Les populations avaient donc le loisir de prendre le bois sous certaines conditions restrictives, qualité des essences, bois de « caables » (chablis), ou arbres de mauvaise qualité. Ces usages se virent confirmés en 1315 - 1376 - 1402 - 1519. La délivrance de ces usages était soumise à l'appréciation des verdiers (forestiers) qui réglaient la coupe des essences nobles et veillaient à ce que la coutume ne devienne pas abusive voire mercantile.

La Normandie était province maritime et ses chantiers navals importants en nombre étaient gros consommateurs de chênes et de hêtres. Mais elle devait aussi fournir les bois de construction pour sa population contre privilège ou rémunération.
En milieu rural, réconciliant seigneurs et vilains sur la propriété des eaux et forêts, le coutumier légiférait sur la fourniture en bois pour la construction des haies, entretient et renouvellement des charrettes et gérait la fonction pastorale de la forêt avec une telle précision que leur superficie pouvait être estimée au nombre de porcs qu'elles pouvaient supporter. Ici encore, les animaux étaient soumis à des règlements différents selon les espèces. Certaines devaient être parquées d'autres marquées (stabulation libre). La forêt était donc utilisée comme complément de récolte et permettait de concilier culture et élevage.
L'usage sur les fruits était aussi apprécié, les vergers cultivés, ou vergers de plains, étant d'une pratique assez tardive, la récolte des pommes, poires, nèfles, prunelles, noix, fresnelle… était une pratique toute aussi courante que le fauchage des landes (lande = lündr = forêt), le ramassage des feuilles, de la marne ou de la tourbe des mares pour amender les terres.
La forêt du moyen-âge, par ses réserves de bois de construction, de combustible et par ses ressources fourragères et alimentaires jouait donc un rôle providentiel.
Mais la forêt était aussi le refuge des bêtes sauvages, ces fauves que les princes réservaient à leur exclusif plaisir constituaient un droit qui se renforça avec la réfaction du gibier, et généra nombre d'obligations pour les vassaux moyennant aides ou privilèges particuliers.
Parmi les animaux « sauvages », les abeilles, ou mouches à miel, faisaient l'objet d'une attention toute particulière. À l'époque où le miel était un produit alimentaire, thérapeutique et servait de base à la fabrication de l'hydromel et la cire produisait un éclairage de meilleure qualité que le suif, la possession d'un essaim était source de revenus qui eux-mêmes gêneraient dîmes et redevances.
Nous l'avons déjà dit : le rôle du bois était primordial pour la construction au moyen-âge, mais il était tout aussi important pour les professionnels. L'outillage des ruraux était prélevé dans les forêts ainsi que celui des boulangers, bouchers, tisserands et forgerons. Les forêts fixèrent aussi les communautés des verriers, forgerons, charpentiers qui trouvaient sur place la matière première dont ils avaient besoin. Au XVIIIème siècle l'Ouche, la Champagne et la Franche-Comté sont les trois grands centres sidérurgiques de France. En Normandie six barons « fossiers » représentent la maîtrise des « ferrons de Normandie » et tiennent leur siège à Glos-la-Ferrière (forêt de Breteuil). Les verriers trouvent, sur des terres délaissées par l'agriculture, bois, sable et fougères utiles à leur industrie, les potiers et tuiliers le bois et l'argile. Sur les arbres, tanneurs et cordiers prélèvent de l'écorce des chênes le tanin et avec celle des tilleuls les cordiers tressent. Les vanniers les apothicaires ne sont pas en reste.
De cette vie, l'administration ne reste pas en marge, les forêts sont administrées par l'Échiquier des Eaux et Forêts de Normandie à Rouen, les maîtres et enquêteurs des forêts représentent le pouvoir royal. En Normandie la coutume prime la loi et longue jouissance vaut droit ! Mais ces droits se monnayent : amendes, confiscations, redevances malgré leurs valeurs souvent dévaluées ou obsolètes – pains, œufs, harengs, fer à cheval ... – corvées de paysans, services et obligations des seigneurs, prières des religieux, rappellent que la forêt est une société régie par la loi des hommes autant que par leurs désirs. La forêt mystérieuse et romantique ne vit pas que dans les Contes de monsieur Perrault et les êtres surnaturels fées, elfes, gnomes font partie de l'imaginaire des normands avec les particularismes issus de nos coutumes, de notre histoire : Mesnie Hellequin, légende des bracelets de Rolf, légende du corps nu, culte des arbres guérisseurs, arbres noués et c...
La forêt sera lieu de refuge pour quelques marginaux, ponctuellement, lors d'évènements dont l'origine est bien souvent éloignée du seul bruissement du vent dans les feuilles.
Jean HALOT

Le Parc régional de Brotonne

La création de Parcs régionaux en France est une idée tardive. La faible densité humaine repartie sur l'ensemble du territoire a longtemps laissé dominer l'impression que l'espace était infini, le rôle prépondérant de l'agriculture a conforté cette impression. Mais la croissance de l'urbanisation, les problèmes liés à la maîtrise de l'industrialisation et l'accentuation de l'exode rural (1) ont conduit à définir de nouvelles structures pour pallier les risques inhérents à une désertification du monde rural.
Située entre Rouen et Le Hâvre, traversée par l'axe séquanien, l'A13 et bientôt l'A29 les collectivités locales et territoriales ont pris conscience que cette concentration pouvait être fatale a la région de Brotonne : destruction des sites, mitage pavillonnaire, tourisme sauvage, industrialisation anarchique. Le Parc ne refuse pas un développement, il spécule sur la gestion intelligente d'un espace de qualité liant patrimoine et économie locale.
La région de Brotonne représente un patrimoine très particulier car il fait la synthèse d'une partie de l'espace Normand oriental : Pays de Caux, Val de Seine, Roumois et Marais Vernier, sur une superficie de 49 000 ha dont 12 000 de forêts.
Par la mise en place d'une procédure de lancement qui regroupait trente-trois communes adhérentes et les Conseils généraux de l'Eure et de la Seine-Maritime, puis l'inscription du projet au schéma d'aménagement de la basse Seine en décembre 1969, le projet prévoyait l'amélioration du bâti, la préservation des particularités géologiques, de la faune et de la flore. Les premières actions s’appliquèrent dans des créations de clubs sportifs et par la promotion de trois hameaux expérimentaux visant à produire « beau et bon marché ».
L'énumération met en lumière la multiplicité des aspects que comportait l'opération Parc. Aménagement global du cadre de vie, facteur de promotion économique et de mise en valeur, le parc devait procéder d'un esprit de recherche et être un « prétexte à faire des choses ».
La charte constitutive précisait les limites géographiques du Parc, définissait globalement les programmes et les moyens. L'article 7 donnait pour orientation générale la responsabilité des politiques locaux pour maintenir l'activité agricole menacée par la pression urbaine. L'article 24, antilibéral, fixait les limites au développement d'opérations uniquement inspirées de préoccupations commerciales, tout en prévoyant les modalités d'implantation, d'exploitation moyennant une participation aux frais de fonctionnement du Parc.
Sous la gestion d'un Syndicat Mixte associant communes et départements, l'Office National des Forêts, les Chambres d’Agriculture, de Métiers, de Commerce de d'Industrie des plans d'équipement et de financement furent établis, mais les réticences des collectivités locales firent que les communes ne devaient supporter plus de 1,5% du coût global de l'opération. Le Parc devait trouver son auto financement avant les dix années suivant sa mise en place. Par contre le principe de péréquation des recettes était retenu.
« Ni musée, ni kermesse, ni réserve d'indiens, ni Luna park, le Parc Naturel Régional de Brotonne se veut un outil de promotion et de mise en valeur au bénéfice de la population résidente et des citadins qui viennent s'y récréer. »
Cette affirmation aura finalement le mérite de nous permettre de constater que toutes les bonnes intentions ne feront jamais plus que le bon vouloir des intéressés.
Pourtant «L'enjeu est d'importance dans cette basse vallée de la Seine promise a un grand avenir industriel et beaucoup d'élus locaux l'auront compris pour qui le Parc est une question de vie ou de mort ! »
Bernard Fontalirand en 1972 faisait preuve, de clairvoyance, et son jugement vaut encore aujourd'hui où l'on propose jachère et gel des terres qui conduisent à la désertification de notre espace rural. II serait même sain de s'en inspirer pour ce qui concerne la Vallée de Seine entre Pont de l'Arche et les limités de l'Île de France, où l'I.A.U.R.I.F. (2) a délégué un préfet à son service pour veiller au bon aménagement de ce que l'Île de France considéré désormais comme un de ses espaces naturels d'expansion.
J.-F. BOLLENS

(1) pour une population en baisse démographique de 8 000 unités de 1851 à 1954.
(2) Institut d'Aménagement et d'Urbanisme de l'Île de France.