On trouvera ici, pour l'heure, les textes de Runes-Lettres d'O.D.I.N.
qui, à terme, seront complètés des réflexions du groupe de
travail de l'O.D.I.N.-76, de sa création jusqu'à sa dissolution en 1996.



mercredi

Runes, été 1993


Éditorial

... Riccardo Petrella


Que nous le voulions ou non, nous subissons des définitions. Nous utilisons des mots qui sont le plus souvent ambigus, donc imprécis. Le mot « région » en est un. Son ambiguïté est due au fait qu'il est utilisé pour définir des réalités vécues comme extrêmement hétérogènes.

Ainsi, nombreux sont les Catalans, les Basques, les Écossais, les Gallois, parmi quelques exemples, qui sont vivement opposés à l'usage du terme « région » pour désigner la communauté à laquelle ils appartiennent. Pour eux, « région » est un terme réducteur, car il renvoie à celui de « nation » : d'où il y aurait des nations (celles qui se caractérisent par un État) et des régions (parties d'un État), alors que – disent-ils – la Catalogne, les Pays Basques, l'Écosse, etc., sont des nations sans État

Le mot « nation » revient chez d'autres populations, au sein desquelles des groupes parlent de plus en plus fréquemment de nation bretonne, alsacienne, corse, sarde ... Les réactions négatives que soulève une telle appropriation du mot nation sont dues – disent-ils – au fait que l'on a systématiquement et délibérément confondu nationalité et citoyenneté, nation et État-nation. Alors que la nation est un groupe relativement stable et de formation récente en Europe, qui constitue, à l'heure actuelle, l'une des formes de la vie collective associée, l'État-nation a prétendu réduire au niveau du fait étatique (l'État) le fait national, en essayant (souvent avec succès) d'éliminer la multiplicité des nationalités.

Il a rendu identique dans les principes et dans la pratique ce que d'autres États n'ont pas rendu identique : d'une part, la nationalité (par exemple slovène, macédonienne, ukrainienne, etc.) et, d'autre part, la citoyenneté (yougoslave, soviétique, etc.).

Bien que la conscience d'être une nation ne paraisse pas, pour l'instant du moins, être aussi manifestement ressentie par l'ensemble des populations mentionnées ci-dessus, il n'en est pas moins vrai que, parmi les habitants de ces « régions », il existe une conscience diffuse d'appartenir à un espace humain, culturel et historique distinct.

Chaque époque, chaque génération écrit son histoire et produit l'image qu'elle se fait de son passé. En ce sens, elle réinterprète l'histoire écrite par les générations précédentes. Réinterpréter l'histoire ce n'est pas seulement le fait d'historiens professionnels qui apportent de nouveaux éclairages. C’est aussi le fait de groupes qui prennent conscience de leur histoire et, soucieux de leur avenir, jettent de nouveaux regards sur le passé.

Ainsi, on assiste ces dernières années à un regain d'actualité du débat sur l'identité, l'unité et la diversité culturelle de l'Europe.

Pour les uns, l'Europe est une civilisation, un Kulturkreis (espace culturel) fait d'héritages sans cesse repris et sans cesse réadaptés, tels que les libertés primitives celtiques, germaniques et slaves ; l'ordre juridique romain ; l'apport grec dans l'art, le théâtre, la poésie, la science, la philosophie, la théologie ; la religion judéo-chrétienne.

D'autres nient l'existence d'une unité culturelle et d'un espace européens. Certains parce que, pour aux, les seuls espaces qui peuvent être reconnus sont les espaces nationaux. Selon eux, le fait national est celui qui, dans l'histoire de l'Europe, a eu la seule dynamique de développement évidente, permanente : c'est le fait qui resterait permanent dans l'avenir. En outre, opérant une grave confusion entre le fait national et le fait État-nation, ce courant d'opinion estime que la cristallisation de patries et d'États nationaux est le phénomène dominant de l'histoire de l'Europe. À ceux qui objectent que l'histoire nationale et, à plus forte raison, l'histoire de l'État-nation demeurent incapables d'expliquer les faits culturels de l'Europe, car pour juger et comprendre ces faits, c'est toujours au-delà et en deçà de la nation et de l'État-nation qu'il faut faire appel, ils rétorquent que ces faits culturels ont été spécifiés, précisés, au niveau de la nation et de l'État-nation.

D'autres, encore nient cette unité parce que ce qui leur parait évident, c'est l'existence de plusieurs Europes, dont les liens et les interrelations ne sont pas de nature à permettre de considérer ces différentes Europes comme parties intégrantes d'un tout.

Dès lors, plutôt que de chercher l'unité culturelle de l'Europe, il importe davantage d'essayer de comprendre comment sont nés et se sont développés les différenciations et les rapports inégaux entre régions ; en fonction de quels mécanismes les États-nations se sont constitués, pour donner à l'Europe l'histoire que l'on connait; et pourquoi on assiste à l'heure actuelle à cette explosion de conflits et d'oppositions au sein des États-nations entre la périphérie et le centre.
La renaissance des cultures régionales en Europe
Éditions Entente 1978

1204-1450

Ces deux dates sonnent comme un glas.
Elles résonnent à nos oreilles, comme en nos cœurs, aussi douloureusement que 1944.
Ces deux jalons posés sur le chemin de l'histoire de la Normandie marquent les moments de notre aliénation. Notre destin mérite-t-il encore le noble qualificatif de « normand » ? Et dans l'affirmative, s'il est toujours vrai qu'en politique le désespoir est une sottise absolue, quels moyens voulons-nous laisser à nos enfants pour décider de quel sceau ils veulent marquer leur page d'histoire normande ?
À l'heure où un nouveau gouvernement, dans l'indifférence quasi générale, tente de mettre en place « allegro ma non tropo » une réforme du code de la nationalité dont on peut s'interroger sur les conséquences réelles ou espérées, force nous est faite de constater que l'homme de la rue se préoccupe de tout autre chose, malgré toute la bonne volonté des organisations caritatives, syndicales ou politiques, quand ce ne sont pas des ministres d'État qui récusent les élus de la Nation. Vu de la rue, la réforme du code de la nationalité anime un débat politique houleux. Comme toujours, les mouvements du panier de crabes de l'Assemblée Nationale monopolisent tous les regards, alors que les relations de l'homme de la rue, si elles ne font pas la Loi, n'en sont pas moins dignes d'intérêt, et, il y a deux ans, à peine, un tel projet de Loi aurait déclenché une émeute.
Une cinquantaine d'organisations, partis politiques et syndicats ont appelé à une journée d'action le 11 mai à Paris. La manifestation a réuni quelques centaines de personnes. Nous sommes loin des milliers de manifestants descendus dans la rue pour « protester » contre la mort d'un voleur de moto, tué par la police au terme d'une course poursuite dans une banlieue chaude.
Car vu de la rue, la situation n'est jamais la même que celle vue par la presse ou du haut du perchoir de l'Assemblée Nationale.
Selon un sondage CSA/Le Parisien, soixante-seize pour cent des français approuvent la suppression de l'automaticité de l'attribution de la nationalité aux jeunes nés en France de parents étrangers.
Si cela reflète assez peu le malaise de bien des français de souche qui, au fil des années, ont vu la nation accueillir à bras ouverts les immigrés, et qui voient aujourd'hui ceux-ci ne pas répondre aux espoirs utopiques que nos divers dirigeants ont fait miroiter, cela reflète bien mieux que trois-quarts des français n'oublient pas que ceux qui gouvernent ont été élus avec l'argent de ceux qui ont profité de la colonisation avant de se servir de l'immigration. Que vingt-cinq pour cent de la population résidente en France soit d'origine extra-européenne joue, à notre avis, fort peu dans les préoccupations de l'homme de la rue, de toute évidence plus intéressé par la baisse de son pouvoir d'achat, sinon par la remise en cause de son gagne-pain. Il ne faut pas se leurrer : si la réforme du code de la nationalité provoque si peu de réaction, c'est qu'il y a eu depuis quelques années un profond changement de mentalité dans la rue
Car vu de la rue, ce ne sont pas les chiffres des statistiques qui font la réalité quotidienne. Lorsque le sentiment d'insécurité s'accroît, ce sont des faits et non des courbes abstraites qui font monter la tension, et rien n'indique une prochaine et notable amélioration. Sans que la presse ne fasse cas des états d'âme du bon peuple, celui-ci approche lentement du ras le bol. Le fameux seuil de tolérance d'il y a quelques années a été largement franchi.
Pour ce qui est de la Normandie, il nous faut admettre que, si comme partout ailleurs en Europe, l'immigration peut-être un exutoire à l'exaspération de nos concitoyens, cette situation n'est pas à mettre au seul crédit des trente dernières années, loin s'en faut. Nous nous plaisons à rappeler que l'espace normand est un carrefour de civilisations, et, à ce titre, une terre d'accueil depuis sa plus haute antiquité. Jamais nous ne pourrons oublier que l'accueil a aussi évolué à certaines heures sombres de notre histoire [Normande, ndlr] : l'immigré des uns, est aussi le colon parti d'ailleurs... 1204 vit le remplacement des élites civiles normandes par des horzains attirés par la richesse non défendue du premier État moderne européen. 1450 fut le début de la substitution de nos élites intellectuelles, c'est à dire principalement le clergé normand, à ces deux dates nous pouvons ajouter l'exode rural commencé par la révolution industrielle et les saignées de 1914-1918 et 1939-1944 où nos populations, pour des intérêts stratégiques discutables, ont pu civilement participer à l'effort de libération. L'œuvre continue jusqu'à nos jours, puisque voici un an l'État français décidait de la fermeture de l'école de notariat de Rouen. Chose de peu d'importance, sinon que cette institution était la dernière à enseigner le droit normand sur le continent !
La réforme du code de la nationalité n'est qu'une manifestation supplémentaire d'un jacobinisme, version frileuse. Car, si la République Une et Indivisible avait compris que sa richesse réside dans la diversité, elle aurait su faire la différence entre citoyenneté et nationalité, elle aurait conservé un hexagone hérissé de libertés, et la société civile moins anémiée aurait été plus à même de « lutter contre » un phénomène qui n'est dangereux que par l'état de faiblesse d'une institution sclérosée.
À l'évidence, la réforme du code de la nationalité vient trop tard, les politiques peuvent débattre, la presse en faire écho, vue de la rue, une nouvelle loi laisse indifférents des peuples qui ont trop longtemps attendu.
Gilbert CRESPIN

Les villes,les départements et les régions au secours de l'État.

Confortement des quais de la Seine
Participation de la ville [de Rouen] :
« La ville participera, à hauteur de neuf millions de francs, à la consolidation des quais rive droite de la Seine, entre la section actuellement en travaux (en aval du Pont Guillaume le Conquérant) et le môle des bassins Saint Gervais, soit environ deux kilomètres. »

Lesquels kilomètres sont administrés par le Port Autonome, c'est-à-dire l'État !

M. Paul Caron, député, s'interroge sur les dépenses d'aides médicales liées au R.M.I. en ces termes :
« Ce nouveau système pèse sur les finances locales, et en particulier sur celles du département dont les dépenses d'aides médicales sont accrues de vingt-cinq pour cent ».

Alors que selon la loi de 1992, les départements n'ont aucun contrôle sur ces budgets ainsi distraits par l'État.

M. Daniel Colliard, élu régional et député, s'alarme à propos de la pêche :
« La situation est grave et plonge dans le désarroi des milliers de professionnels sur nos côtes ... Ils se retrouvent couverts de dettes. Ce sont les économies régionales qui sont frappées au cœur. Beaucoup reste à faire pour le secteur de la pêche, comme pour l'ensemble du monde maritime. »

L'ennui, c'est que la France n'a jamais voulu saisir l'intérêt de sa façade maritime, alors pour ses régions ...

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Voici le huitième numéro de Runes.
Les abonnés qui nous soutiennent depuis deux ans ont vu la formule évoluer, les colonnes se remplir, évolution technique oblige, le style et la volonté de maintenir vivante notre identité normande s'affirmer.
Depuis notre numéro « automne 92 », de nouveaux lecteurs ont pu découvrir le travail d'une équipe jeune, parce qu'animée par des jeunes, qu'interpelle tout ce qui enrichit ou réduit notre patrimoine normand, et qui nous semble devoir intéresser, sinon tout régionaliste convaincu, du moins les normands bien nés.
Depuis septembre 91, la densité des textes a été multipliée par trois, mais nous ne tirons toujours qu'à deux cents exemplaires. Rassurez-vous, ce n'est pas par élitisme ou « confidentialisme ». bien que Runes se présente sous l'étiquette "Lettres d’O.D.I.N. », mais notre budget reste à notre image : jeune. Ceci nous contraint à n'utiliser qu'une partie restreinte du fichier d'amis rencontrés depuis neuf ans qu'existé O.D.I.N.-76
Aujourd'hui, il nous faut nous résigner à ne plus adresser Runes qu'aux amis qui nous ont soutenu financièrement ou qui, les temps étant durs pour tout le monde, nous auront fait la demande d'un nouveau service avant que les beaux jours ne leur reviennent.

D'avance nous vous remercions de votre soutien.

Les U.S.A. en voie de sous-développement.

Les accords du G.A.T.T. prévoient, outre la promotion des règles du libéralisme et l'expansion du commerce international, un code de bonne conduite.
C’est ainsi que l'accord entérine les préférences douanières entres les territoires ou pays en vigueur au moment de sa signature (i.e. le COMMONWEALTH) il est interdit d'en créer de nouvelles.

Cet accord institue le principe de non discrimination, et interdit aux pays contractants :
– de percevoir sur les produits étrangers des taxes intérieures plus élevées que celles perçues sur les produits nationaux ;
– de soumettre les produits étrangers à des lois, réglementations ou prescriptions affectant la vente, l'achat, le transport, la distribution, l'utilisation de ces produits, plus restrictives que celles applicables aux produits similaires nationaux.
Les deux cents pour cent de taxes et autres mesures vexatoires sont donc hors la loi, à moins que les négociateurs américains se prévalent de l'article XVIII et veuillent préserver les intérêts économiques de leur pays sous-développé.
Le F.M.I. et la Grande Presse Internationale n'ont, semble-t-il, pas été mis au courant de cette nouvelle donne. Et cela n'empêche pas nos ardents défenseurs de l'Europe de réclamer l'intervention U.S. dans les affaires de l'ex-Yougoslavie. Comme si l'exemple du Traité de Versailles, en 1919, ne servait à rien.
François DELAUNAY

betterave pour Charette

Une betterave d'Esteville sur la carte de Normandie du ministre du logement :

Hervé de CHARETTE

Le ministre du logement a rendu visite à l'abbé Pierre dans sa retraite d'Esteville, en Seine-Maritime, afin de s'entretenir avec lui du douloureux problème des mal logés. L'intention aurait été fort louable, si le cabinet du ministre s'était donné la peine d'en avertir les autorités locales.
En effet, Hervé de Charette, après avoir averti « la presse » : T.F.1, l'A.F.P.-PARIS et le PARISIEN LIBERE (ce qui apprendra à « Paris Normandie » à ne pas s'appeler PARIS tout court !), s'en est allé, avec son équipage s'aventurer dans notre Normandie sauvage et cruelle.
Sauvage, parce que le chauffeur du ministre n'a jamais trouvé la station de métro « ESTEVILLE ».
Cruelle, car le ministre s'est vu contraint d'appeler à l'aide un guide autochtone, à savoir le Préfet de région, mis jusqu'ici hors du coup.

Qu'est-ce qu'on dit, au fait, à propos de Charette et de Bœufs ?

Quand la S.N.C.F. fait peau neuve

Un grand plan va mettre la qualité au centre de la stratégie de modernisation, parmi ces éléments :

LA RE-GU-LA-RI-TE !

Donc la S.N.C.F. teste la régularité sur les lignes Paris-Nancy-Strasbourg et Paris-Clermont ! Mieux, sur cette dernière ligne, ainsi que sur Paris-Limoges-Toulouse, une expérience de « contrat qualité régularité » mérite l’attention : en cas de retard de plus d'une demi-heure, le supplément vous est remboursé ...

(Devinette) : Qu'est-ce qui c'est allongé d'une demie heure en soixante-trois ans ?

(Réponse) : La durée du trajet Dieppe-Paris.

Remboursés, oui ! Mais pas sur les lignes Normandes où les retards, ponctuels ou les allongements structurels des temps de trajet, s'accentuent d'année en année. Même le Sénat s’alarme !
La S.N.C.F. n'a non seulement plus de mission de service public définie, mais de plus son obligation d'équilibrer ses comptes n'est pas respectée, bilan : six milliards de déficit prévus pour 1993, cent quarante-deux milliards d'endettement.
Le coût des infrastructures dépasse les seuls moyens de la vieille dame, et la reprise en main de la définition des objectifs prioritaires par le Parlement de Parts, si elle annonce la volonté de recentrer l'activité ferroviaire vers le service public (il serait grand temps !), risque de voir envolés les appels du pied des Conseils régionaux pour obtenir le T.G.V.
Pour attirer toujours plus d'usagers vers le train, la S.N.C.F. met en place des tarifs compétitifs ; l'effort portera sur les villes situées à plus de trois heures et demie de trajet. D'où l'énhaurme publicité faite aux une heure vingt-neuf minutes du T.G.V. Nord Europe (Paris-Lille) qui offre à la métropole des Flandres de nouveaux atouts pour favoriser la délocalisation, hors de Normandie, de nos administrations et entreprises à vocation internationale. Pour tous les Normands un grand MER-CI à la vieille dame.
Enfin, dernière bonne nouvelle, « l'accès aux gares doit-être facilité, ce qui nécessite parfois des aménagements importants. Les collectivités locales sont alors les partenaires privilégiées de la S.N.C.F. » ; ce qui prouve que les normands ne sont pas complètement oubliés.
Le tableau n'est pas tout à fart noir, à condition que les mesures financières ne soient pas, par la suite, révisées à la baisse : il serait question que les crédits d’État affectés aux services régionaux de la S.N.C.F. soient affectés aux Conseils régionaux, lesquels auraient plus d'autonomie. Mais il reste, localement, un point sur lequel l'incidence des budgets de l'État serait nulle, compte tenu de la sur-nucléarisation du littoral normand : l'électrification de toutes nos lignes régionales.
Loin d'être un somptueux cadeau, ce serait une contrepartie minimale morale.
Jean François BOLLENS

Écologie, la nouvelle bataille de Normandie

La Normandie est non seulement un refuge pour les parisiens, c'est surtout une région dotée d'une industrie très puissante : la chimie, les raffineries, le nucléaire symbolisent son aspect fortement compromis en matière d'environnement.
56 sites visés par les directives « Seveso », 8 réacteurs nucléaires et l'usine de la Hague renforcent cette mauvaise présentation touristique. Mais, quoiqu'en disent les détracteurs de la qualité de vie en Normandie, en dix ans les chimistes « normands » ont diminué de deux-tiers leurs rejets de dioxyde de souffre, l'industrie des engrais ne rejette plus de phosphogypse en baie de Seine, Norsk-Hydro a fermé, l'autre stocke à terre (bénéfice trois cents chômeurs normands de plus), les rejets de matières organiques oxydables sont passés de trois cents tonnes à quatre-vingt tonnes par jour, les concentration de plomb et de poussière dans l'air ont été divisées par six en dix ans. Malgré ces efforts coûteux, en argent, mais surtout en emplois, il ne se passe pas de semaine sans que les risques industriels, les nuisances et atteintes à l'environnement dans notre région soient mises en exergue dans les médias ou brandies par des portes paroles d'associations ou de mouvements politiques ... Malheureusement, ces prises de position sont presque toujours isolées du contexte social et économique.
Diminuer l'impact des industries sur l'environnement est bien dans la volonté de chaque industriel responsable : la solution est-elle d'aboutir à une activité industrielle nulle et donc à une pollution nulle ?
Le péril en Basse-Seine n'est pas celui que l'on croit. Le vrai péril, c'est de rayer purement et simplement notre région de la carte des sites industriels et donc sa richesse et ses emplois.
Lorsque l'on effectue le total de toutes ces actions pour l'environnement menées par les industriels et les collectivités locales, on obtient la somme impressionnante de trois milliards de francs. Pourtant, les industriels locaux totalisent soixante-quinze pour cent des sommes investies, alors qu'ils ne sont responsables que de vingt-cinq pour cent de la pollution du fleuve. Si nous exigions des l'Ile de France qu'elle indemnise la Normandie pour les pollutions que nous subissons, une simple règle de trois nous autoriserait à réclamer la coquette somme de neuf milliards !
... C’est ce qu'ont décidé le Conseil régional et les Conseils généraux d'Ile de France avec l'Agence de Bassin Seine Normandie en décidant la mise en place d'un plan de dix milliards !

Mais l'Agence Seine Normandie ... ne sont-ce pas aussi les Normands qui devront mettre encore la main à la poche pour régler un cinquième de la note de leurs fortunés voisins ?
Jean HALOT

Droit de cuissage automobile

Les sociétés d'Autoroute sont-elles les seigneurs et maîtres d'une nouvelle féodalité ?
Au milieu des années soixante, l'État français, devant la carence d'infrastructures autoroutières, inaugura une politique ambitieuse destinée à compléter l'embryon ludique, constitué avant la seconde guerre mondiale, et qui menait de la Porte de Saint Cloud à Versailles.
Le fer de lance de cette politique s'est constitué autour de sociétés d'économie mixte chargées de construire, puis d'exploiter pendant vingt ans ces autoroutes financées avec de l'argent public. Trente ans plus tard ... les concessions sont toujours exploitées et il ne reste de cette politique audacieuse qu'un déficit de kilomètres que les Régions et les Conseils généraux tentent de combler, toujours avec de l'argent public, sous la bienveillante attention des sociétés d'autoroutes.
Si Paris semble bien irrigué par le maillage autoroutier, la province reste, une fois de plus, la grande oubliée. En effet, comment maintenir, sinon développer, une économie locale, donc une vie en milieu rural, sans un réseau de communications sûr, rapide qui desserve le plus grand nombre de bassins de production ?
Dans les faits, quatre-vingt pour cent de la population ne représente rien vis à vis des intérêts de l'Ile de France. Le déséquilibre Paris-province s'accentue d'année en année, que ce soit en infrastructures, dans le rapport des kilomètres soumis au péage, le nombre d'accès aux voies rapides, la qualité l'entretien et de la signalisation, les choix de tracé par le jeu de notion d'utilité publique plus facile à imposer dans les zones en cours de désertification, etc.
Nous payons au prix fort un service peu coûteux pour les vingt pour cent d'une population qui paye peu ou pas des kilomètres qui nous sont finalement très chers ; 1993 est le Bicentenaire d'une période qui fut terrible pour l'ensemble des provinces, vu de Paris c'est une aimable fantaisie, mais rappelons-nous que tout avait commencé par des cahiers de doléances où les bons peuples de France rechignaient sur les péages des ponts et chaussées.
Resterait-il des Bastilles à prendre ?
Marc LESALIEN

Indécence, insolence ou imbécillité ?

Entre les épithètes il n'est pas facile de choisir, et l'heure commanderait plus à la concertation et au regroupement de nos énergies qu'à leur dispersion. Mais il y a des idées, des paroles qui confinent à la trahison des intérêts normands. Que la Normandie ne soit qu'un mythe au regard de quelques parachutés de tous poils, peu nous chaut, nous les tenons et les combattons pour ce qu'ils sont : des horzains. Mais que, dans nos propres rang, des normands se mêlent à la curée nous navre et nous révolte !
Qu'à cela ne tienne, nos messieurs préfèrent jouer l'air des querelles intestines entre Caen et Rouen, organiser quelques colloques où tout ce qui avait déjà été dit l'est à nouveau, de sorte que, la réunionite devenant plus importante que le but assigné, ils se trouvent au moment du Plan sans avoir rien avancé de leurs doctes travaux.
Alors reviennent les vieilles lunes, celles qui dispersent les efforts que les deux demi régions font pour se retrouver, pas trop vite, mais l'idée fait son chemin. Les exclus des prébendes n'ayant plus de moyens de manifester leur puissance, refont leur apparition. L'Observatoire de Prospective, puisque c'est de lui qu'il s'agit, ayant vu partir en fumée son désir de réaliser l'unité de la haute Normandie et de la Picardie, a voulu relancer le débat au mois de mai 1993, en l'Hôtel des Sociétés Savantes de Rouen, avec un dénommé Germond, qui présentait son chef d'œuvre de géographe autorisé, puisqu'il enseigne à la faculté de Rouen. Les thèses de ce monsieur sont simples, sinon simplistes, et il est navrant que de telles élucubrations aient pu susciter tant d'émoi. Selon ce personnage, la « haute »-Normandie se trouve devant deux horizons (sic), le premier est Paris, le second c'est au lecteur de le trouver ... (de qui se moque-t-on ?) Car, Paris est une chance pour la Normandie plus que pour les autres régions, à condition que, comme au judo, les normands jouent sur leur agilité pour entraîner leur puissant voisin, (ben voyons, au lieu de laisser tomber Paris, nous tomberions avec !)

Pour les attardés, précisons que la Normandie n'est pas dans l'Arc Atlantique parce qu'elle n'a pas de plan routier, ni de zones franches, tout au plus devons-nous déplorer que l'on exploite sans vergogne ses gravières et qu'on y importe des petits vieux. Émaillant son exposé de propos dénotant un mépris certain : « le Limousin et la Corse sont au-dessous de zéro, la « haute »-Normandie égale la Corse et le Limousin pour les décentralisations ! » voire une insolente ignorance pour un si grand géographe qui compare la faiblesse des moyens de la « haute »-Normandie à « la force d'une région comme la Rhénanie ou la Belgique ». Ce ne fut qu'un vibrant plaidoyer pour que nous acceptions le principe d'une Normandie parisienne, plutôt que de devenir parisiens petit à petit.
Ces propos furent repris un illustrissime caennais, François Geindre, qui ne se trouve être « que » maire d'Hérouville-Saint-Clair, qui est si près de Caen dont il voudrait être le chef de file au SIVOM, pour faire pendant à son ami Laurent de Rouen ? Aussitôt, par l'aubaine alléché, notre troisième couteau se rue dans les colonnes de Ouest-France, où les dirigeants rennais sont trop heureux de trouver une cloche qui donne un son flatteur pour les oreilles des managers d'un Arc Atlantique enfin débarrassés de Rouen. Car, pour Geindre comme pour ces messieurs, Rouen est, horror referens, la cité des perditions d'emparisianisés dont il faut se défaire avant que la Normandie, en recouvrant ses esprits, ne prenne une trop belle place dans cet Arc Atlantique qui veut bien du littoral normand pour mieux défendre sa cause, mais ne l'irriguera des subventions reçues qu'à la manière d'un certain comité pour le développement du tourisme dans l'ouest qui ignora superbement ... le département de la Manche venu faire cavalier seul en si avenante compagnie.
François DELAUNAY

Du vandalisme en général,

Récemment, le Maire d'Évreux, M. Roland Plaisance, a pris des mesures finalement courageuses pour lutter contre l'insécurité dans sa Z.E.P. (1) locale. Il s'agit de supprimer les aides de la mairie aux familles qui comptent parmi leurs membres des jeunes, bien connus des services municipaux, qui détruisent systématiquement les locaux mis à leur disposition. Aussitôt l'initiative défraye la chronique, et l'on accuse ce brave maire de réprimer injustement quelques vandales incontrôlés.
Là, je crie halte ! Nos forts doctes plumitifs, quand ils désignent ces individus forts peu respectueux de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, se méprennent du tout au tout sur un détail : les Vandales ne sont pas des vandales.
Explication : le terme de « vandalisme » a été utilisé pour la première fois en 1794, par l'évêque Grégoire de Blois pour qualifier les exactions du peuple français pendant la révolution. L'expression nous en est restée, bien à tort, comme nous l’allons démontrer.
et des vandales en particulier ...
Les Vandales sont originaires de Vendyssel, Jutland, et sont composés de deux tribus : Asdings et Silings. Au tout début du cinquième siècle, nous les trouvons sur les bords du Rhin, avec d'autres peuples germaniques, face à l'Empire romain en pleine décomposition. En 406, le fleuve gèle. Vandales, Suèves, Alains, Burgondes, Alamans, Francs bousculent les courageuses mais impuissantes légions romaines et envahissent l'Europe occidentale. Nos Vandales traversent rapidement la Gaule et parviennent en Espagne où ils donneront leur nom à l'actuelle région de l'Andalousie (2). Après des heurts violents avec les Visigoths, ils sont quatre-vingt mille à s'embarquer en mai 429 à Tarifa, pour conquérir tous les territoires de l'antique Carthage, aidés en cela par leur talent naturel de navigateurs – ils viennent du Jutland, ne l'oublions pas. Leur territoire, outre l'Algérie, la Byzacène et la Tunisie, comprend bientôt la Sicile, la Sardaigne, la Corse et les Baléares.
Inévitablement, et pour les mêmes motifs de suprématie maritime à l'origine des guerres puniques, les Vandales entrent en guerre contre Rome.
L'issue de cette guerre fut la prise de Rome en 455, dont on ne prend même pas la peine de parler dans le dictionnaire (3), soucieux d'entacher la réputation de ce peuple dont Salvien de Massalie, contemporain des faits, dira: « … les Goths et les Vandales ont un tel code moral qu'ils ne mènent pas seulement une vie chaste, mais qu'ils ont également réussi l'exploit de rehausser les normes éthiques des romains. Ayez honte, romains, de la vie que vous menez ! Car seules les villes où sont installés les barbares sont libres d'adultère. Là où règnent les Vandales, l'adultère est même interdit pour les romains ».
Constat amer pour un homme qui voit son peuple vaincu sombrer dans la décadence.
Quand aux « barbares », tout comme les Visigoths le 24 août 410, ils ne resteront dans Rome que quelques jours. Les Goths avaient brûlé quelques quartiers, pillé et emmené des centaines d'hommes et de femmes. Les Vandales se contenteront de prélever le trop plein de richesses des nobles, et d'emmener eux aussi une colonne d'esclaves. Dans ces deux cas, ni viols (4), ni massacres ! En 432 déjà, les Vandales, après le siège d'Hippone, respectèrent la bibliothèque et le tombeau de Saint Augustin, mort le 28 août 430.
On certifie pourtant, que ces ignobles barbares, chrétiens ariens, sont les inventeurs des camps de concentration : en 483, ils déportèrent 466 évêques catholiques dans le sud de la Tunisie. Charlemagne, en déportant et massacrant des millions de saxons païens, fera bien mieux, tout comme les « vandales » d'Évreux.
Le royaume Vandale, finalement, fut balayé en 533 par une coalition de Berbères nomades alliés à l'Empire romain d'Orient de Byzance. Il n'en reste aujourd'hui que quelques villages isolés en Kabylie, où l'on retrouve des populations germaniques musulmanes.

En tout état de cause, à Évreux comme ailleurs, n'est pas Vandale qui veut !
W. LAMBERT
(1) Zone d'Education Prioritaire, terme fort prude, ma foi.
(2) Vandalusia, anciennement province carthaginoise.
(3) Petit Robert des noms propres 1991
(4) Pratique inconnue chez les germains avant la christianisation.