On trouvera ici, pour l'heure, les textes de Runes-Lettres d'O.D.I.N.
qui, à terme, seront complètés des réflexions du groupe de
travail de l'O.D.I.N.-76, de sa création jusqu'à sa dissolution en 1996.



mardi

Runes - Hors-série 1/1993 Irlande

POBLACHT NA EIREANN



Le gouvernement provisoire de la République d'Irlande au peuple d'Irlande.

Irlandais et Irlandaises, Au Nom de Dieu et des générations passées de qui elle reçoit sa vieille tradition de Nation, l'Irlande, à travers nous, appelle ses enfants à lutter sous sa bannière pour sa liberté.

Après avoir organisé et entraidé ses militants dans notre organisation secrète, la Fraternité des Républicains Irlandais, et dans l'Armée des Citoyens Irlandais, après avoir opiniâtrement perfectionné sa discipline et avoir attendu avec résolution le meilleur moment de nous révéler dans l'action, nous saisissons maintenant l'opportunité et, avec le soutien de nos exilés en Amérique et le soutien moral de nos alliés européens, bien que ne comptant d'abord que sur notre seule force, nous combattons avec toute notre Foi en la Victoire.

Nous déclarons le Droit du Peuple d'Irlande à l'auto-détermination et au contrôle sans entraves des destinées de l'Irlande souveraine et inaliénable. La longue usurpation de ce droit par un peuple étranger et son gouvernement n'a pu abolir ce droit qui ne le sera que par la destruction du peuple irlandais. À chaque génération le peuple irlandais a affirmé son droit à une liberté nationale souveraine ; à six reprises durant les trois derniers siècles il l'a affirmé avec les armes. À cet instant, armes à la main, nous affirmons de nouveau ce droit fondamental au monde, nous proclamons pour cette raison que la République irlandaise est un état Souverain Indépendant et nous engageons nos vies et celles de nos frères d'armes dans la défense de sa liberté, de sa prospérité et pour sa reconnaissance par les autres nations.

La République d'Irlande appelle, pour ces raisons fondamentales, le soutien de tous les Irlandais et Irlandaises. La République garanti les libertés civiles et religieuses, l'égalité des droits et des devoirs de tous ses citoyens et affirme sa volonté de réaliser le bonheur et la prospérité de la Nation toute entière, de prendre soin équitablement de tous les enfants de la Nation, et d'ignorer les différences encouragées volontairement par un gouvernement étranger qui a créé les divisions par le passé entre minorité er majorité.

Seules nos armes sauront apporter les conditions idéales pour l'instauration d'un gouvernement national permanent représentatif de l'ensemble du peuple irlandais, et élu par le suffrage de tous les hommes et les femmes. Le gouvernement provisoire constitué dans ce but administrera les affaires civiles et militaires dans l'intérêt du peuple.

Nous plaçons la cause de la République d'Irlande sous la protection du Père Très Haut, nous le prions de bénir nos armes, comme nous prions qu'aucun de ceux qui servent notre cause ne la déshonore par sa lâcheté, son inhumanité ou ses pillages.

En cette heure suprême la Nation Irlandaise doit par sa valeur et sa discipline, par l'empressement de ses enfants à se sacrifier eux-mêmes pour le bien commun, prouver elle-même l'honorabilité de l'auguste destin auquel elle est appelée.

Signé Sur la Foi du gouvernement provisoire
THOMAS J. CLARKE
SEAN Mac DIARMADA - THOMAS Mac DONAGH
S.H. PEARSE - EAMON CLEANNT
JAMES CONNOLLLY - JOSEPH PLUNKETT

" Je suis d'Irlande
'' Sainte Terre d'Irlande.
'' Et le temps presse."

W. B. YEATS

Des Celtes en général aux Irlandais en particulier

Il y a trois mille six cents ans, se forme en Allemagne du Sud un peuplement protoceltique dont le rameau « goïdélique » commence à envahir la Grande-Bretagne. Les origines de ces Celtes demeurent obscures. Deux faits permettent de fixer le berceau de cette civilisation en Europe centrale et occidentale : l’existence de la Loraine jusqu’en Bohème de très anciens toponymes d’origine celtique pour désigner les montagnes et les rivières, la continuité manifeste dans les rites funéraires, les divers aspects de la civilisation matérielle et dans les types anthropologiques dont les composantes essentielles sont les races nordiques, alpine et dinarique.
Les recherches linguistiques nous apprennent que le groupe goïdélique, auquel se rattachent les Irlandais, présente des archaïsmes prononcés qui font supposer que c’est aux origines du peuplement protoceltique que les Goïdels ont été séparés des Celtes continentaux.
On sait peu de choses de l’Irlande protohistorique, sinon qu’une civilisation à la tradition artisanale réputée jusqu’en l’actuel Danemark fournit les bases de l’essor de l’art irlandais voici deux mille six cents ans, avant que les Goïdels importent la civilisation de la Tène, assurant leur domination grâce à la maîtrise du fer. L’histoire de cette implantation est mal connue, mais on sait quelle fut l’organisation sociale et politique mise en place, puisqu’elle subsista tant que l’Irlande resta à l’écart des grands mouvements de l’histoire. Cette société très divisée, politiquement, en petits États d’environ trois mille hommes armés, et fortement hiérarchisée entre ses rois, ses druides, ses bardes, ses hommes – libres ou non – et ses esclaves, permettait de s’élever selon ses mérites, suivant le principe « Is ferr fer a chinind » (un homme vaut mieux que se naissance), admettait qu’un homme puisse être fidèle à son roi autant qu’à son clan.
De tuath (royaume) à tuath, de clan à clan, ce n’étaient que guerres et coups de main dont l’enjeu principal était le bétail, de là les innombrables récits que l’on retrouve dans la littérature irlandaise ancienne. Les tuath se regroupant, au début de l’ère chrétienne l’Irlande était divisée en cinq royaumes principaux, l’Ulster, le Nord et le South Leinster, le Munster et le Connaught ; division qui prévalu pendant tout le moyen-âge et dont les rivalités ne sont connues que d’après les sources littéraires le plus souvent légendaires. Au troisième siècle, le tuath de Connaught occupa le North Leinster puis l’Ulster, sous l’autorité de Niall des-neuf-otages, du clan O’Neill, qui instaura le principe de roi supérieur de l’Île qui valu jusqu’en 1002.
Dès le milieu du troisième siècle, les Irlandais (Scotti) se livrèrent à de nombreuses pirateries sur les côtes britanniques et étendirent leur domination sur le Pays de Galles et l’ouest de l’Écosse. Au neuvième siècle leurs descendants devinrent rois d’Écosse.
Ces raids irlandais sortirent l’Irlande d’un isolement de près de dix siècles en la mettant au contact avec la civilisation de Rome, ce qui entraîna sa christianisation et un extraordinaire essor de la vie monastique.
Jusqu’aux invasions Normandes, au début du neuvième siècle, le développement du christianisme, qui se mêla à de vieilles traditions celtiques, constitua l’essentiel de l’histoire du pays. Mais l’adoption du christianisme ne s’étant pas accompagnée de l’adoption de l’organisation politique latine, l’Irlande resta pendant cette période le théâtre de luttes intestines.
Les Angles et les Saxons avaient épargné l’Irlande, les vikings ne l’épargnèrent pas.
En 795 ils fondirent sur la colonie monastique d’Iona, célèbre dans tout le monde occidental. Ils y revinrent en 801 ; en 806, après une troisième attaque, l’abbé Cellach quitta l’île avec les survivants pour Downpatrick et Kells. Les vikings avaient sur les Irlandais la supériorité de l’armement, ne énergie farouche, la connaissance des mers. Encouragés par l’absence de réaction de leurs victimes, et par la richesse du butin, ils multiplièrent leurs attaques sur toutes les côtes. En 830, Torgeist saccagea Armagh, en 837 il amena soixante-cinq navires dans la baie de l’eau noire : Dubh Linn.
À partir de 841, les vikings commencèrent à construire des forts près de la Dublin, à l’embouchure de la Liffey ; Waterford, à l’embouchure de la Suir ; Cork, près de l’embouchure de la Lee ; Limerick, près de l’embouchure du Shannon. Avec ces nouveaux hommes, une nouvelle langue et un nouveau mode de civilisation s’installait en Irlande. Malgré le danger, non seulement les Gaëls ne s’unirent pas contre l’envahisseur mais certains d’entre eux s’allièrent à lui par des mariages.
En 976, le royaume de Munster tombe entre les mains d’un Gaël ambitieux et énergique : Brian Boru. En 1002, il usurpa sur les O’Neill la dignité de roi suprême ; en 1014, il vainquit à Clontarf, sur la rive nord de la baie de Dublin, une coalition de vikings et d’Irlandais du Leinster. Cette victoire, acquise au prix de sa vie, devait devenir, pour les Irlandais, symbole d’unité nationale et d’indépendance. La réalité était beaucoup plus complexe. L’Irlande gaëlique n’avait pas été unanime derrière Brian Boru. Les vikings installés en Irlande restèrent : l’armée victorieuse ne put prendre Dublin ; les autres villes, indépendantes ou soumises, Wicklow – dont le nom signifie baie des vikings – Wexford, Waterford, Cork, Limerick, restèrent profondément scandinaves d’esprit.
L’Irlande offrit au Normands un nouveau champ d’expansion ; il semble pourtant qu’ils ne vinrent qu’à l’appel d’un roi Irlandais : Dermot Mac Murrough, décédé en 1171. Dans les années qui suivirent, les Normands assurèrent leur domination sur la presque totalité de l’île. Dans la seconde moitié du treizième siècle, on assista à un phénomène connu dans les autres territoires administrés par les Normands, leur assimilation aux coutumes du pays qui les avait conquis.
Francois Delaunay

Histoire sommaire et partisane du peuple Irlandais

L’évolution des peuples d’Irlande constitue une page d’histoire originale, fascinante et dramatique.
On ne saurait définir autrement les évènements essentiels qui ont caractérisé la destinée de cette île éloignée des centres historiques de l’Europe. Originale et fascinante par la jonction qu’elle a su opérer entre le monde celtique et le monde latin et chrétien. Dramatique par les bouleversements, les souffrances et les difficultés qu’elle a dû supporter et supporte encore aujourd’hui en raison d’une pratique pluriséculaire conquérante, et impérialiste, d’un espace plus puissant.
Commencé au douzième siècle, la conquête de l’Irlande par l’Angleterre est achevée au dix-septième siècle pour être définitivement légalisée en 1800 avec l’Acte d’Union. Ce furent, jusqu’à l’obtention du Home Rule en 1921, sept siècles de malheur.
En 1367, les Statuts de Kilkenny interdisent de parler le gaélique, les mariages mixtes, le port du costume irlandais, l’entretien des bardes, la pratique du forestage (genre d’adoption du droit gaélique). Cette mesure est suivie par la Poyning’s Law (années 1640) qui établit que les textes adoptés par le Parlement Irlandais doivent être soumis à l’approbation de Londres. Ces deux mesures ne sont cependant que des actes paisibles par rapport à ce qui suit au moment où l’Angleterre devient protestante. L’Île catholique va subir une véritable persécution religieuse. Les rois Anglais ne peuvent admettre l’existence, dans les territoires sous leur contrôle, d’une « forteresse du papisme ». En 1536, Henri VII étend à l’Irlande l’Acte de Suprématie et prend pour la première fois le titre de roi d’Irlande.
En 1695, le lord chancelier Bowes dira : « La loi Anglaise ne reconnaît pas l’existence d’une personne telle qu’un catholique romain ». Par les Lois Pénales, l’Irlandais ne peut être ni électeur, ni éligible ; il ne peut rentrer ni dans l’armée ni dans la marine, ni dans aucune profession libérale. Ses acquisitions, son droit de tester, sont strictement limités, le droit à l’instruction lui est refusé. La situation du clergé tourne autour de l’interdiction pure et simple.
Dès le début, l’oppression religieuse se double d’une exploitation sociale et économique. Commencée avant le passage de l’Angleterre à la Réforme, la confiscation des terres irlandaises et leur attribution à des colons Anglais prennent une signification de réelle colonisation et de lutte à la fois économique, sociale et religieuse, précisément dans l’Ulster qui de région la plus gaélique et catholique de l’Irlande, devient une des places fortes des colons Anglais protestants.
Las des violences quotidiennes, les Irlandais se révoltent en octobre 1641. Ceux qui, trente ans plus tôt, ont été chassés de leurs terres, massacrent sans pitié les gens qu’on avait mis à leur place. La riposte est effroyable. La lutte continue jusqu’au moment où Cromwell débarque avec ses soldats en Irlande pour mater la rébellion. D’après certains historiens les cinq-sixièmes de la population ont péri. Ni les femmes, ni les enfants ne furent épargnés et plusieurs villes furent entièrement détruites.
Après les Cromwellian Settlement (confiscation des trois-quarts des terres irlandaises au bénéfice des soldats de Cromwell), ce sont les Actes du début du dix-huitième siècle qui interdisent à l’Irlande d’exporter les laines ailleurs que dans la métropole, d’avoir sa propre marine marchand, et c. Les propriétaires du sol, vivant généralement en Angleterre, obligent les fermiers à s’acquitter de leur fermage en blé, ce qui contraint l’immense majorité de la population à utiliser la pomme de terre comme aliment presque unique.
Aussi, lorsque la maladie de la pomme de terre fait ravage en 1739-1740, les Irlandais sont fauchés par la famine. Bilan : entre 200 000 et 400 000 morts. Cela fut la première famine. Une siècle plus tard, le bilan de la « Grande famine » est plus lourd encore : en quatre ans, plus de 700 000 personnes sont mortes de faim et plus de 800 000 ont quitté l’Irlande sur les trop fameux « cercueils flottants ». D’après le recensement de 1851, la population avait décru de deux millions ! Depuis lors l’émigration ne fait que continuer. Enfin, au plan linguistique, composante indispensable de tout processus de colonisation, l’anglicisation de l’île a été « exécutée » de façon profonde. En 1870, vingt pour cent seulement de la population, concentrés surtout dans la partie occidentale du pays, parlent encore le gaélique. Les efforts accomplis à partir de 1922 par les gouvernements irlandais successifs en faveur des traditions et de la culture originaires gaéliques, témoignent que l’Irlande n’a pas perdu tout espoir de maintenir vivant un patrimoine culturel de l’Europe, au moment où tout conduit à l’uniformisation de nos sociétés.
Nous avons fait mention d’une série de faits desquels découle la guerre civile en Irlande du Nord. Certains n’y voient que la prolongation des vieilles guerres de religion. D’autres n’y voient qu’un épisode de la lutte des classes commencée dès l’attribution aux colons Anglais des terres confisquées. D’autres enfin, n’y voient que la poursuite de la guerre de libération nationale contre l’impérialisme britannique.
La guerre en Irlande est tout cela à la fois.
Le maintien au sein de la Communauté européenne d’une île de quatre millions cinq-cents mille habitants, artificiellement coupée en deux États et ravagée par une guerre civile sanglante, ne devrait pas laisser indifférents les continentaux.


D’après Ricardo Petrella
« La renaissance des cultures régionales en Europe »
Éd. Entente, 1978

Avec toute la sympathie que nous éprouvons à l’égard de Ricardo Petrella, nous reprenons ce texte pour ce qu’il permet de rapprochement entre les catholiques Irlandais et les Réformés Normands qui eurent, eux, le bonheur de vivre au siècle de la Révocation d’un Édit jugé trop tolérant. La Normandie a perdu de la sorte une importante part de sa population, de son savoir faire et de ses traditions ; pis, au schisme religieux s’est substitué un schisme géographique entre les Îles et la Duché continentale.

Les rêveurs du rêve irlandais

L’Irlande exerce sur certains esprits une étrange et persistante fascination, hors de proportion avec l’étendue de son territoire, le chiffre de sa population, les avanies et les méandres de son quotidien. Le rêve irlandais que nous entendons inventorier n’est pas le miroir trompeur au fond duquel certains traquent désespérément le reflet déformé de leur ego malade. C’est le rêve comme signe distinctif de l’Irlande, attestant l’être le plus intime d’une Nation qui s’est toujours exprimée sur le mode lyrique plus que sur le mode théorique.
Au vrai, le nationalisme irlandais n’a jamais été capable de formuler théoriquement ses positions. Le rêve irlandais ne procède point d’une analyse doctrinale mais d’un attachement charnel et d’une illumination mystique qu’il est plus facile d’atteindre par les voies de la théologie négative que par les routes tracées au cordeau de la philosophie positive.
Le nationalisme ne constitue pas, en soi, un pêché contre l’esprit : « il est impossible de considérer le monde moderne tel qu’il est sans reconnaître la force écrasante du patriotisme, de la fidélité à la Nation. En certaines circonstances, il peut s’effondrer, à certains stades de civilisation il peut ne pas exister, mais en tant que force positive, il n’y a rien qui puisse rivaliser avec lui » (Orwell). Il n’y a pas lieu de s’en affliger, chaque nation est dépositaire unique d’une parcelle de la richesse du monde. Le cosmopolitisme n’est rien d’autre qu’une forme aigüe de cécité idéologique. Il serait bien entendu osé de prétendre que le nationalisme est à l’abri des infections purulentes et des dérives criminelles. Mais quelle idée de vouloir éliminer la maladie en tuant le malade ! Les peuples sans conscience sont comme les patients de la comédie : le médecin annonce triomphalement à la famille qu’il est mort guéri.
L’attachement simultané au tuath et au clan imprègne le mental de l’Irlandais autant que son quotidien dans un environnement complexe et multiforme. Ces musiques de l’âme, double lien, moral et charnel, font que la question reste toute entière et permanente : « Qu’est-ce qui fait l’Irlandais ? » La longue mémoire ou le climat, le caractère des individus ou leur histoire légendaire ou tradition orale de hauts faits héroïques récents, tout contribue, par l’imaginaire et le vécu, à prolonger le rêve entre mélancolie et violence.
Par le sang versé… Cette épitaphe sied bien à l’Irlande dont le nom est comme synonyme de violence, à croire que son histoire ne fut qu’une longue suite d’affrontements inexpiables. Comme si elle n’avait pas connu, elle aussi, de longues plages de paix à l’écart du bruit et des fureurs des époques troublées… Mais s’il est excessif d’en faire la terre d’élection du désordre et de la peur, force est d’admettre qu’elle enfanta la violence dans toutes ses formes : affrontements dynastiques, guerres de religion, jacqueries, insurrections populaires, guerre de libération nationale, campagnes d’attentats terroristes enfin. Cette typologie, qui est loin d’être limitative, ne saurait pas davantage être prise au pied de la lettre.

Au dix-neuvième siècle, l’agitation agraire verse parfois dans le terrorisme sans qu’il soit toujours aisé d’en faire la par exacte de la vengeance et de l’intimidation terroriste. Car la religion et la terreur n’interviennent pas comme facteurs dominants dans une situation nettement caractérisée par son aspect social. Il faut attendre les Pâques sanglantes de Dublin pour voir l’I.R.A. faire une entrée remarquée sur la scène que dorénavant elle occupera pratiquement sans interruption. Combattant à un contre vingt, les insurgées s’accrochent à chaque pâté de maisons, à chaque coin de rue. L’I.R.A. de 1916 n'a rien d’une organisation terroriste ; ses hommes observent scrupuleusement les lois de la guerre et portent l’uniforme. Lors de la reddition, Pearse remet son épée au général Lowe. C’est plus qu’un symbole ; l’affirmation solennelle d’un statut de belligérant à quoi l’on prétend avoir droit au terme d’un loyal et franc combat. Au vrai, les chefs rebelles ne se faisaient aucune illusion. À moins que la province bougeât, ils savaient pertinemment que leur aventure était vouée à l’échec. À plus long terme, ils escomptaient ranimer la flamme vacillante de la liberté qui n’avait que trop tendance à s’éteindre depuis le début des hostilités. Loin de vouloir répandre la terreur, ils n’avaient qu’une ambition : prêcher l’exemple, émouvoir amis et ennemis, se sacrifier pour permettre à la population civile d’encaisser les dividendes de cette héroïque folie.
Pearse et ses compagnons avaient vu juste. Les Irlandais qui avaient boudé l’insurrection s’émeuvent et condamnent la répression qui s’abat sur le pays. Les chefs rebelles, condamnés à mort et exécutés, deviennent les martyrs d’une cause qui fait tâche d’huile.
Chez ces hommes engagés dans une lutte inexpiable, peu ou pas d’esprit de système, mais une ferveur quasi mystique. « Leur croyance est un acte, intuitif et direct, de volonté, d’imagination et d’amour ; elle est une de ces formules mentales qu’ils produisent tout naturellement, plus proche du sentiment que de l’idée, de la poésie que de la logique, et où la pensée, d’autant plus puissante qu’elle est plus confuse, émeut aisément les forces inconscientes de l’âme ; au fond, c’est un état religieux… ces gens-là sont des millénaires qui attendent une aurore avec la certitude de la Foi, aussi sûrs du triomphe que du jour qui se lèvera demain. C’est ce qui leur donne cette intransigeance dans leurs revendications. C’est ce qui leur donne cette obstination inaccessible au désespoir. Mais ce mysticisme de la justice, c’est aussi ce qui donne à leur pensée une couleur si proprement irlandaise. » (Roger Chauvire)

Le rêve irlandais, il est là, palpable et cependant lointain : « Ces sacrifiés sublimes entendent en eux-mêmes des voix et, bien souvent, quand ils nous parlent, leur rêve les emporte très loin, très loin de nous, en des régions où nous serions bien incapables de les suivre. »
On dira que le trait est un peu épais, l’idéalisme par trop candide. Si l’on passe de la fiction à la réalité, on s’aperçoit que Ludovic Naudeau restituait fidèlement un certain type d’homme auquel se rattache indéniablement Terrence Mac Swiney, le Lord-maire de Cork, un texte essentiel du nationalisme irlandais qui témoigne d’une grande élévation de sentiment et d’une conception quasi mystique du combat libérateur : « Nous guiderons l’Europe comme nous l’avons guidée jadis. Nous tirerons le monde de ce rêve pervers de convoitise matérielle, de puissance tyrannique, de politiques corrompues et brutales, nous le ferons s’émerveiller au prodige de l’esprit régénéré, au miracle d’un rêve neuf et magnifique ; et nous enracinerons notre état dans une vraie liberté qui durera à jamais. »
Éditions Artus, 1988
D’après Pierre Joannon

Leurs figures.1

Les Celtes, d’Irlande ou d’ailleurs, sont par excellence gens de parole, et le monde celtique est un rêve perpétuellement éveillé auquel les mots donnent chair, une création continue dont le discours tend à l’inaccessible tout en charriant, au détour de ses inextricables circonvolutions le destin de l’univers.

Si le nom ne William Butler Yeats est lié à la création d’un théâtre national Irlandais, il l’est aussi à toutes les formes de renaissance littéraire dans l’Île verte.
Bien que d’origine anglaise par son père, Yeats vous son talent à l’exaltation de l’Irlande où il est né. La découverte du riche folklore celtique constitue l’une de ses sources d’inspiration où il ressuscite le monde héroïque et fabuleux des légendes gaéliques. Attiré par le symbolisme, Yeats ne cesse, par un système de correspondance de plus en plus subtil entre ses sentiments les plus intimes et la nature profonde de l’Irlande, d’approfondir son expérience esthétique.
L’unité culturelle de l’Irlande sera définitivement réalisée par l’entreprise de Yeats qui utilise le théâtre pour créer une littérature véritablement nationale. En 1899, la création de la « Comtesse Cathleen » donne lieu à des représentations tumultueuses, les Irlandais ne sont pas disposés à tout accepter sous couvert de la résurrection nationale : ils s’indignent de voir des paysans Irlandais vendre leur âme au diable.
Mais Yeats est aussi un homme d’action qui, dès 1896, se lance dans la lutte pour l’indépendance de l’Irlande. En 1917, au moment où celle-ci est déchirée par les luttes sanglantes des guerres civiles, il se retire dans son comté natal de Sligo, et son œuvre témoigne alors de son détachement progressif par rapport aux réalités de la politique.
Patrick Pearse sera l’un des artisans du retour au langage ancestral dans ses œuvres. Cependant cette tentative se heurte à la difficulté de trouver un public pour ses écrits, tant l’usage du gaélique est restreint en Irlande. Cette difficulté de trouver une audience explique pourquoi l’attitude radicale adoptée par la Ligue Gaélique en rejetant la langue anglaise ne sera pas suivie par les écrivains Irlandais.
La passion de Pearse c’était la langue irlandaise, et ce qui le rattachait, une Irlande mystique où les héros qu’il admirait le plus, Cuchulain et Fin Mac Cool, n’avaient jamais cessé d’exister. Les guerriers de la mythologie irlandaise étaient importants à ses yeux et il était de plus en plus habité par l’idée de mourir pour l’Irlande.
« Pearse est un homme dangereux, devait dire Yeats avant l’insurrection de Pâques, il a le vertige de l’abnégation ».
En 1914, Pearse s’occupe des Irish Volunteers créés en réponse à l’établissement des Volontaires d’Ulster. Le lundi de Pâques 1916, il conduit les insurgés jusqu’à la Grande Poste, quartier général des rebelles, mais connaissant ses limites, il s’occupe surtout de la propagande.
Fusillé le 3 mai, il allait donc acquérir l’immortalité qu’il avait souhaitée en devenant le plus célèbre de tous les chefs de l’insurrection.

Les berceaux de la Nation

Réveiller la conscience d’un peuple est indispensable avant toute autre action. La révolution culturelle précède la révolution politique. Sans rêverie, pas de mouvement, et même, doit-on dire, sans mythe pas de Nation !

Tout nationalisme plonge ses racines dans l’histoire. Celui de l’Irlande tout particulièrement. Face à l’Angleterre, les nationaliste Irlandais mettent l’accent sur le fait que leur pays a subi « huit siècles d’oppression étrangère » et l’affirmation de l’existence d’une « nation irlandaise » s’appuie sur des critères ethniques, linguistiques, culturels et religieux… qui remontent dans la nuit des temps et qu’il convient d’analyser rapidement pour comprendre toute l’étendue de la « question d’Irlande ».
Le premier fondement d’une « nationalité irlandaise » bien distincte, sur des critères « objectifs », serait d’ordre ethnique. Pour bien marquer leur différence originelle avec les Anglais, les Irlandais n’hésitent pas à se définir comme étant d’une autre race : « The Irish Race » ! Ils se veulent les descendants directs des derniers arrivants celtiques, les Gaëls. Cette notion de race irlandaise prêterait à sourire si on ne lui donnait qu’un contenu ethnique. En fait, l’identité irlandaise se définit également en terme linguistique et culturel : elle repose notamment sur l’existence d’une « langue nationale », le gaélique d’Irlande. L’héritage celtique revendiqué par les nationalistes Irlandais n’est pas seulement celui d’une civilisation originale qui s’est épanouie au plan littéraire et artistique pendant plus d’un millénaire. « L’Irlande celtique, indépendante jusqu’au treizième siècle, est pertinente ici non par les institutions originales et les faits réels de son histoire et de sa culture, mais par les mythes qu’elle a créés dans les générations de patriotes Irlandais en lutte contre l’occupant britannique du seizième aux dix-neuvième siècle. Ceux-ci ont naturellement donné une couleur romantique, voire idyllique à ce passé gaélique, au gré de leurs propres désirs et dans le refus de la soumission à l’Angleterre ». (André Guillaume)
Le naufrage des espérances réformistes, en 1891, provoquèrent un véritable séisme moral, brisant net l’élan national, imprimant dans la jeunesse un vif sentiment de répugnance à l’égard de la politique politicienne. Tandis que le siècle change de millésime, les Irlandais partent à la découverte de nouveaux territoires, se cherchent de nouvelles références et s’inventent un passé et un avenir pour mieux dynamiser un présent marqué au coin du renoncement et de la corruption. On les voit faire un retour aux sources vivifiantes de leur histoire et de leur culture pour forger les outils de leur renaissance. Cette affirmation hautaine d’une souveraineté inaliénable dans l’ordre de l’art et de la pensée est une menace pour l’ordre moral et politique établi.
Sur le plan intellectuel, la renaissance irlandaise constitue un moment privilégié de cet élan d’auto-affirmation. Par des vois parallèles, c’est un même cheminement qui pousse Yeats à vouloir l’avènement d’une « littérature nationale qui rendre l’Irlande belle dans la mémoire et qui pourtant soit libérée du provincialisme par une critique exigeante, une attitude européenne. »
Bien qu’ayant notablement contribué à nourrir l’esprit de révolte, la renaissance littéraire irlandaise ne pouvait que traduire imparfaitement la revendication d’autonomie formulée par la nouvelle génération. Celle-ci s’exprime au sein d’organisations qui prêchent le retour aux sources de la civilisation gaële comme antidote à la transformation insidieuse des Irlandais en West-Britons. C’est la Gaelic Athletic Association, fondée en 1884 pour populariser les sports gaéliques, noyautée par l’Irish Republican Brotherhood, qui essaime dans les campagnes, mais aussi la Ligue Gaélique qui, au-delà de « la préservation de l’irlandais en tant que langue parlée, l’étude de la vieille littérature irlandaise et la culture des lettres irlandaises modernes », veut mettre en œuvre tous les moyens disponibles pour infuser un sang nouveau à la très antique culture gaélique afin de régénérer une race noble tombée sous la férule intellectuelle et matérielle d’un maître étranger.

« Quand nous trouvons une solution,
les Irlandais changent la question. »
Gladstone

Cette volonté de créer un homme nouveau soustrait aux pesanteurs traditionnelles de la religion et de la politique attire une majorité de Catholiques et de nationalistes, mais aussi de Protestants et même d’Orangistes.
La contestation de l’impérialisme culturel anglais ne pouvait pas ne pas déboucher sur la contestation radicale de l’impérialisme politique anglo-irlandais. Le grand courant de la renaissance gaële fut dévié au profit du nationalisme le plus radical. La politique ne résiste pas à ce violent appel d’air. Le renouveau de la vie politique irlandaise emprunte des voies multiples. Le centenaire de l’insurrection de 1798 accroît l’audience des thèses séparatistes propagées par des myriades de clubs et sociétés de pensée à tendance ouvertement républicaines. Polémiste redoutable, Griffith soutient que l’Irlande peut et doit s’émanciper en ne comptant que sur elle-même. Le Sinn Fein se découvre des sympathisants dans tous les milieux : il en vient des cercles d’études de la Ligue Gaëlique, des salons de la renaissance littéraire irlandaise et même des arrière-salles discrètes où se renouent les fils de la conspiration feniane.
L’agitation sociale se greffe sur l’effervescence intellectuelle et politique. Un tiers de la population dublinoise s’entasse dans des taudis misérables et insalubres ; la tuberculose et la sous-alimentation hissent Dublin en tête du classement européen des taux de mortalité ; l’exode rural vient accroître un chômage endémique dans les villes où quinze à vingt pour cent des travailleurs ne trouvant pas d’emploi rendent les salaires extrêmement bas. Cette situation favorise l’émigration vers les États-Unis, le Canada et même en Grande-Bretagne. Criminalité, prostitution, alcoolisme, viennent achever de noircir le tableau.

À Belfast et Dublin la classe ouvrière se mobilise.
Manifestations, grèves, émeutes, charges de police rythment l’année 1913 sur un fond de détresse croissante dans les quartiers populaires. Lâchés par les syndicats anglais et par l’Église, les Irlandais reprennent le travail sans avoir obtenu gain de cause. De cet échec naissent l’émancipation du mouvement syndical anglais et la prise en mains propres des revendications nationales.
Même volonté d’autonomie et de recentrage du développement dans la sphère économique. Le programme du Sinn Fein entend favoriser l’apparition d’un capitalisme indigène par une série de mesures protectionnistes. La presse mène une campagne en faveur de l’« Irlande irlandaise ». Le parti parlementaire irlandais, élu et siégeant au Parlement de Londres, défend les valeurs irlandaises et l’autonomie de l’Irlande au travers des différents projets de Home Rule. Cette période traverseée de multiples courants convergents, voit les Irlandais reprendre confiance en eux-mêmes, tout semble à portée de main. L’Angleterre allait enfin faire droit à l’Irlande en dehors de toute effusion de sang.
C’était sans compter avec les Orangistes d’Ulster pour qui le Home Rule ne pouvait être qu’un avatar du Rome Rule. Le gouvernement libéral est qualifié de « comité révolutionnaire despotique » et les Unionistes menacent : « Il existe des forces plus grandes que les majorités parlementaires ». L’Ulster Unionist Council décide de lever une armée de cent mille hommes : L’Ulster Volunteers Force, « ce sera illégal, bien entendu ce sera illégal… le maniement des armes est illégal… les volontaires sont illégaux, mais le gouvernement n’ose pas intervenir… »
Rendons à César ce qui appartient à César, ce sont les Unionistes d’Ulster qui, délibérément, ont enclenché l’engrenage de la violence ; ce sont les Orangistes qui ont réintroduit les fusils dans la politique irlandaise en un temps où même les nationalistes les plus extrêmes ne songeaient guère à en découdre.
Le retournement de l’opinion publique irlandaise vis-à-vis des insurgés de Pâques 1916 se manifesta non seulement sentimentalement, mais aussi politiquement. La détermination des Républicains Irlandais était de plus en plus forte et le Sinn Fein se réorganisa sur la base d’un programme résolument indépendantiste et porta à sa tête le survivant du plus haut rang des rebelles de 1916, de Valera.
En avril 1918, le gouvernement britannique décidait d’étendre le service militaire obligatoire à l’Irlande. Cette mesure provoqua aussitôt un tollé général, y compris dans le clergé Catholique. Soutenu par l’Église le Sinn Fein prit la tête du mouvement de résistance à la conscription. La fin de la guerre, en novembre 1918, allait relancer le problème Irlandais sur le terrain électoral ; lors de la consultation de décembre 1918, le Sinn Fein remporta soixante-treize sièges sur cent cinq, en d’autres termes « le peuple Irlandais, dans ces élections libres et ouvertes, s’était clairement prononcé pour une république irlandaise indépendante. »
Jean Halot

Leurs figures.2

La publication des Chants d’Ossian, à partir de 1760, a donné une première impulsion à la recherche de l’identité nationale. Retrouver l’identité nationale, s’affranchir des modèles anglais, tels sont les buts des mouvements qui se sont consacrés à la renaissance gaélique. Cette croisade est menée parallèlement à la lutte politique des Irlandais pour leur indépendance, exaltation lyrique des sentiments, retour au passé national, toutes ces composantes du courant romantique correspondent au tempérament irlandais et, petit à petit, on voit se dégager les traits particuliers qui vont déterminer les conditions du réveil irlandais.

Theobald Wolfe Tone « fut le plus grands des nationalistes Irlandais. Je crois bien qu’il fut le plus grand Irlandais. Plus grand que saint Patrick, car Patrick apportait la vie, alors que cet homme est mort pour nous… » disait Pearse. Nous ne sommes pas à un paradoxe près, mais ce père du nationalisme irlandais, né à Dublin en 1763, ignorait tout de l’Irlande rurale qu’il souhaitait émanciper. Il méconnaissait la langue, les traditions orales, la culture souterraine de ce peuple courbé et divisé dont il voulait faire une nation libre et unie. Le Gaël lui était étranger et sa soif de liberté tenait plus des théories de Locke et de l’esprit des lumières. Anticatholique fervent, cet étrange décolonisateur, admirateur du jacobinisme parisien, périra sous l’uniforme de général des armées de la Révolution française, en se tranchant la gorge dans sa cellule de Dublin, et mourra le 19 novembre 1798.
Fils de famille, élégant, raffiné et très lancé dans le monde, Robert Emmett voulut arracher à l’Angleterre l’indépendance de l’Irlande. Rien de moins, mais rien de plus. L’idée de rendre justice aux catholiques Irlandais dépossédés lui tira cette réplique : « Par bonheur, nous sommes tous Protestants, et personne ne peut nous soupçonner d’agir par intérêt personnel. »
Le 23 juillet 1803, à la tête de quatre-vingt hommes, il provoque une émeute dans les bas-quartiers de Dublin, qui ne durera pas deux heures. Il plaidera sa cause contre « l’inhumaine oppression, en faisant référence aux droits de l’homme et réclamera que nul n’écrive son épitaphe avant « que l’Irlande [n’ait] pas repris son rang parmi les nations de la terre. »
Pendu, puis décapité le 29 novembre 1803, sa renommée confine au mythe avant la fin de la même année. Pearse dira « il nous a laissé un souvenir plus glorieux que le souvenir de Brian, … c’est le souvenir d’un sacrifice ». Au-delà des concepts de révolution, d’insurrection, le nationalisme Irlandais invente avec Emmett la protestation sanglante, le sacrifice ultime. L’esprit des lumières n’avait certes pas prévu ce patriotisme de flagellants.
Eamon de Valera naît à New-York le 14 octobre 1882 d’une mère Irlandaise, qui l’enverra en Irlande à la mort de son père. De Valera, partisan de l’indépendance, rejoint l’Irish Volunteers au sein du Sinn Fein. Lors des Pâques sanglantes il occupe le Moulin de farine « Baland » et sera un des derniers chefs de l’insurrection à rendre les armes. Sa double citoyenneté lui sauvera la vie et, en 1917, il sera élu triomphalement au Parlement Anglais. En octobre 1917, il sera à la tête du Sinn Fein d’où il refusera la conscription puis, en qualité de président de la République (illégale) d’Irlande, dénoncera la sécession de l’Ulster en décembre 1921. Position désavouée par l’électorat en janvier 1922, il quittera ses fonctions et participera à la guerre civile dans les rangs des insurgés. Réélu président en janvier 1932, il conservera le pouvoir jusqu’en octobre 1948.

Pour tenter de conclure

– « Un Hors-série sur l’Irlande ? Bon courage… »

– « Si vous aviez quelques a priori, vous pouvez en faire votre deuil. »

– « Comment expliquer ce que les Irlandais n’osent aborder ? »

– « Les Irlandais adorent la France. Mais pour ce qui est des Normands, tu ferais mieux de prendre un autre thème. »

Pourtant, cet exemple irlandais, dont nous nous sentons si proches, semblait devoir fournir le sujet d’une réflexion enrichissante pour ce qui nous intéresse, nous régionalistes Normands.

L’Irlande a le charme de tous les « bouts du monde » ; dernier îlot d’humanité avant la solitude glacée de l’Océan, l’image d’un peuple qui a toujours lutté pour affirmer son identité, Finistère européen qui voudrait rester le dernier foyer de civilisation originelle commun à tous les peuples européens. Tous ces clichés plus ou moins subjectifs nous renvoient une image qui, en fait, pourrait bien être la nôtre.

Tout comme l’Irlandais, le Normand n’est pas uniforme, vieux Normands ou horzains, adoptés ou conquis, Catholiques, Protestants, agnostiques, sans faire le compte des sensibilités politiques et sociales… Ici s’arrête la ressemblance. La Normandie n’est pas une île, les Normands ne revendiquent pas tous l’héritage viking, loin s’en faut, et la langue Normande s’est depuis fort longtemps confondue avec celle de ses voisins Français.
Reste la valeur de l’exemple.
À partir d’un constat de décès, comment les Irlandais ont-ils réussi à ressusciter un mythe ? Quels ont été les ressorts de leur action ? Que sont devenues les causes de leur quête identitaire ?
Pour nous, continentaux, le problème Irlandais prend naissance pendant la révolution de 1789. À l’époque où les clubs projetaient dans la rue les causeries des salons, l’exotisme n’était pas aux Antilles, où il n’était pas question d’étendre aux esclaves la déclaration des droits de l’homme, mais à nos portes. Les Irlandais en exil à Paris, à l’exemple de Tone, s’enflammeront pour les « idées nouvelles », la Convention et la Terreur les regarderont comme des fils spirituels, parce qu’ennemis de la perfide Albion. Les Irlandais s’attacheront à l’idée républicaine, la république leur sacrifiera quelques bataillons pour appuyer une paradoxale chouannerie. Ici s’arrête l’histoire commune et commence l’idéalisation des rapports car, depuis, la France s’est plus souciée d’établir des relations diplomatiques sereines avec l’Angleterre que du destin de l’Irlande.
Après une longue lutte contre le colonialisme anglais, les nationalistes Irlandais ont fini par obtenir une demi-indépendance pour les trois-quarts de l’île. Cette quête libératrice, aux résultats très divers au plan politique, économique et culturel, pouvait se résumer ainsi : « Pas seulement libre, mais également gaélique ». En fait, le résultat est plutôt décevant, et force est de constater que si l’Irlande est libre, elle n’est pas nécessairement gaélique.
Des salons littéraires était montée la revendication identitaire, affirmée par la défense de la langue. Depuis le 5 avril 1973, l’enseignement du gaélique n’est plus obligatoire. L’Irlande est un pays bilingue où l’on parle Anglais, travaille en Anglais, consomme en Anglais… Comment un pays anglophone aurait-il pu résister au déferlement culturel anglo-américain, témoin d’un nouvel impérialisme, véhiculé par les mass-médias ?
Le « brûlez tout ce qui vient d’Angleterre, sauf le charbon », de Swift n’a pas eu un meilleur sort. L’EIRE est toujours restée économiquement très dépendante de la Grande-Bretagne et, la question sociale liée à la volonté de mettre fin à l’émigration, les gouvernements successifs ont choisi d’attirer les industries et les capitaux étrangers dans des zones franches d’où les investisseurs nord-américains et nippons inondent le marché commun de leurs produits européanisés.
L’affirmation, autant véhémente que naturelle, d’une « Irlande irlandaise » n’a pas fait, non plus, longtemps illusion. L’Irlande est restée, pour des raisons essentiellement économiques, liée à la Grande-Bretagne et a conditionné son entrée dans la Communauté européenne à la demande d’admission de la Grande-Bretagne.
Nous ne pouvons croire que l’Irlande, malgré la grandeur de ses luttes passées, ne soit devenue qu’un simple pôle d’attraction touristique pour amateurs de Whiskey, pulls torsadés et autres parties de pêche ?
Jean Francois Bollens