On trouvera ici, pour l'heure, les textes de Runes-Lettres d'O.D.I.N.
qui, à terme, seront complètés des réflexions du groupe de
travail de l'O.D.I.N.-76, de sa création jusqu'à sa dissolution en 1996.



dimanche

Runes, hors-série 2/93

Éditorial


Adresse aux français amis des lois et de la paix

Jusqu'à quand, ô malheureux Français, vous plairez-vous dans le trouble et dans les divisions ? Assez et trop longtemps, des factieux, des scélérats ont mis l'intérêt de leur ambition à la place de l'intérêt général ; pourquoi, ô infortunés, victimes de leur fureur, pourquoi vous égorger, vous anéantir vous-mêmes, pour établir l'édifice de leur tyrannie sur les ruines de la France désolée ? Les factions éclatent de toutes parts ; la Montagne triomphe par le crime et l’oppression ; quelques monstres abreuvés de notre sang conduisent ces détestables complots et nous mènent au précipice par mille chemins divers.
Nous travaillons à notre propre perte avec plus de zèle et d'énergie que l'on n'en mit jamais à conquérir la liberté ! Ô Français, encore un peu de temps, et il ne restera de vous que le souvenir de votre existence !
Déjà les départements indignés marchent sur Paris ; déjà le feu de la Discorde el de la guerre civile embrase la moitié de ce vaste empire ; il est encore un moyen de l'éteindre, mais ce moyen doit être prompt. Déjà, le plus vil des scélérats, Marat, dont le nom seul présente l'image de tous les crimes, en tombant sous le fer vengeur, ébranle la Montagne et fait pâlir Danton et Robespierre ; les autres brigands assis sur ce trône sanglant, environnés de la foudre, que les Dieux vengeurs de l'humanité ne suspendent sans doute que pour rendre leur chute plus éclatante, el pour effrayer tous ceux qui seraient tentés d'établir leur fortune sur les ruines des peuples abusés !
Français ! Vous connaissez vos ennemis. Levez-vous ! Marchez ! Que la montagne anéantie ne laisse plus que des frères et des amis ! J'ignore si le ciel nous réserve un gouvernement républicain, mais il ne peut nous donner un Montagnard pour maître que dans l'excès de ses vengeances...
O France ! ton repos dépend de l'exécution des lois ; je n'y porte pas atteinte en tuant Marat ; condamné par l'univers, il est hors la loi. Quel tribunal me jugera ? Si je suis coupable, Alcide l'était donc lorsqu'il détruisait les monstres ; mais en rencontra-t-il de si odieux ? O amis de l'humanité, vous ne regretterez point une bête féroce engraissée de voire sang. En vous, tristes Aristocrates que la Révolution n'a pas assez ménagés, vous ne le regrettez pas non plus ; vous n'avez rien de commun avec lui.
O ma patrie ! Tes infortunes déchirent mon cœur ; je ne puis t'offrir que ma vie, et je rends grâce au ciel de la liberté que j'ai d'en disposer. Personne ne perdra par ma mort ; je n'imiterai point Paris en me tuant, je veux que mon dernier soupir soit utile à mes concitoyens, que ma tête portée dans Paris, soit un signe de ralliement pour tous les amis des lois ; que la Montagne chancelante voie sa perte écrite avec mon sang ; que je sois leur dernière victime, et que l'univers vengé déclare que j'ai bien mérité de l’humanité ! Au reste, si l'on voyait ma conduite d'un autre œil, je m'en inquiète peu :
Qu'à l'univers surpris, celte grande action
Soit un objet d'horreur ou d'admiration
Mon esprit, peu jaloux de vivre en la mémoire,
Ne considère point le reproche ou la gloire :
Toujours indépendant el toujours citoyen,
Mon devoir me suffit, tout le reste n'est rien.
Allez, ne songez plus qu'à sortit de l’esclavage !
(Voltaire)
Mes parents et amis ne doivent point être inquiétés ; personne ne savait mes projets. Je joins mon extrait de baptême à cette Adresse, pour montrer ce que peut la plus faible main conduite par un entier dévouement. Si je ne réussis pas dans mon entreprise, Français ! je vous ai montré le chemin, vous connaissez vos ennemis. Levez-vous, marchez, frappez !
Marie Anne CHARLOTTE CORDAY

Les Normands et leurs révoltes

Peu portée à la violence, la Normandie ne présente guère de terre traditionnelle de révolte que le Bocage. Encore s'agit-il de bien saisir le caractère de ces flambées de violence et de cette protestation populaire : ces réactions spontanées et brutales tendent à la défense de situations et de privilèges menacés par une modernité qui dérange. Jamais elles ne s'appuient sur un idéal progressiste. La Normandie sera une terre d'élection pour la chouannerie.
L'examen des mouvements populaires, urbains et ruraux en « haute » Normandie conduit à peu près aux mêmes appréciations. On y a trouvé de l'irrévérence, de la fronde, des violences à caractère folklorique, mais rien qui ne soit de nature à troubler l'ordre public établi.
996, les paysans s'organisent, élisent des délégués pour contester les nouveaux droits féodaux et la suppression des droits traditionnels.
1258, rédaction du « Grand Coutumier de Normandie », qui est une compilation du droit local Normand.
1276, 1292, émeutes antifiscales.
1315, établissement de la « Charte aux Normands ».
1337, des représentants de la noblesse, du clergé et des communes se réunissent à Pont-Audemer, constituant les États de Normandie.
1339, refus du Subside, l'impôt ne peut plus être levé s'il n'a pas été voté par les États Provinciaux.
1351, compte tenu de l'état désastreux de la Normandie la perception du Subside entraîne des émeutes à Rouen. Sur le plan politique, pendant cette « Guerre de Cent ans », les Normands ne prennent position ni pour les français, ni pour les anglais.
1356, en janvier, Geoffroy d'Harcourt refuse le serment vassalique au Dauphin Charles, tant que la « Charte » ne sera pas solennellement confirmée.
, en février, la noblesse Normande refuse la levée de l'impôt sur ses domaines. Capturés, lors d'un banquet au château de Rouen, Jean d'Harcourt, les sires de Granville et de Mainemare sont décapités et leurs corps pendus au gibet.
1382, la clameur de Haro est lancée contre les aides extraordinaires, c'est la Harelle contre la politique de la régence qui ne respecte pas ses engagements envers la « Charte », et les officiers royaux qui se conduisent comme en pays conquis.
1435, 1447-50, brigandages anti-godon dans les forêts, le Bocage, au sud de Caen, le Pays de Caux et alentours de Bayeux, le Pays de Lyons et l'Avranchin.
Pourtant l'« expérience anglaise » a renforcé le particularisme Normand en rétablissant l'Échiquier à Rouen et en instituant l'Université de Caen.
1461, Ligue du « Bien Public », – nobles contre l'autorité royale.
1530, la Normandie est une « terre de Réforme », autant par réaction sociale que pour manifester son particularisme. Malgré les Guerres de Religion, le seizième siècle marque une apogée économique. La population s'accroît malgré la récession et la peste.
1540, le Parlement de Rouen se réfugie à Bayeux et refuse d'enregistrer l'édit de Villers-Cotterêts qui impose le parler d'Ile de France. Parallèlement, la révolte des « Nu-pieds » confirme l'hostilité croissante des populations contre les horsains.

Le Cardinal-duc de Richelieu se méfiait
des Normands qui
« ont tendance à porter haut
et à se souvenir d’avoir eu un Duc. »

1635-38, l'augmentation de la Taille, l'institution d'« Emprunts obligatoires » causent des troubles sanglants à Avranches, Bayeux, Vire, Coutances, Tinchebray, Caen, Mortain, Rouen, Saint-Lô ; noblesse, clergé, communes, tous les corps sociaux Normands s'associent à la clameur de Haro. L'Échiquier donne raison à la Normandie contre l'administration.
1639, la Normandie, pays de « franc salé », se voit soumise à la juridiction des pays de « grande gabelle », ce qui entraîne la révolte des « Nu-pieds » ; l'accroissement des taxes sur les teintures et les cuirs cause des émotions populaires à Rouen et à Caen. La suppression du Parlement de Rouen sera la conséquence de ces révoltes contre la présence française.
1666, la Normandie adhère à la Fronde, en représailles la « Charte » sera supprimée et la Duché divisée en trois Généralités.
1685, révocation de l'Édit de Tolérance.
En supprimant les États Provinciaux de Normandie et en révoquant l'Édit de Nantes, Louis XIV a démantelé toute la vie politique et économique de la Normandie ; la natalité est en baisse et la spéculation sur le grain entraîne la spéculation foncière.
1762, création du JOURNAL DE ROUEN. Boulainvillers, pour qui la noblesse est d'origine franke et saxonne, déclare : « Le roi n'est que le premier, chacun des seigneurs reste maître de ses terres, comme il est maître de lui – même ».
1771, à la faveur de la réforme Maupeou, suppression du Parlement de Rouen.
1786, le Traité de Versailles est signé avec l'Angleterre, ce qui est une bonne chose pour la marine en est une autre pour l'industrie et ... la contrebande avec les Iles Normandes qui fait vivre une frange de la population au Sud de la Normandie.
1788, révoltes à Cherbourg, contre la cherté des grains et la suffisance de ce que l'on appellera bientôt fonctionnaires.
1789, Alençon, pétition en faveur de réunions périodiques d'États Provinciaux.
Nombre de paroisses demandent « que la Province soit réintégrée dans les droits qu'elle a droit de réclamer : que les États Provinciaux soient rétablis ; que la Charte normande soit respectée et exécutée », comme à Saint Martin de Maromme, baillage de Rouen.
Les cahiers de doléances, montrent, ici aussi, le souci de s'affirmer différents. Que l'on tienne pour les anciennes institutions, ou pour les idées nouvelles, la permanence du particularisme normand a été un élément décisif dans l'adhésion de la Duché aux « principes de 89 », et ce en réaction aux effets d'un centralisme croissant. Seulement, c'est une constante, les normands sont légalistes. Les débordements des mouvements parisiens et l'appropriation exclusive de la chose publique par les jacobins ont, plus que dérangé les normands, créé un sentiment de frustration en s'ingérant dans les affaires de la Normandie. Ce sera la cause de la désaffection de la majorité des normands. Si l'on a pu voir quelques figures se distinguer dans les différents camps, ce furent plus celles de défenseurs intéressés d'institutions que d'idéologues. La Normandie marque, ici encore, de son lyrisme lucide des idées, des rêves tous empreints d'une patiente détermination.
Francois DELAUNAY

La France d'Ancien régime : Généralités

Avec une population de vingt-six millions d'individus, la France de Louis XVI détient démographiquement la première place des pays européens. Le royaume ne recense que cinq millions sept-cent-mille citadins et les parisiens atteignent péniblement le nombre de six-cent-quinze mille âmes.
La France s'éveille à la mécanisation. À côté de ses manufactures et de ses arsenaux royaux apparaissent diverses industries que subventionnent d'importants seigneurs et d'opulents bourgeois. Cependant, de sérieux obstacles freinent l'essor des établissements nouveaux. D'abord, la rareté des banques, l'absence d'une Banque d'État analogue à celle fonctionnant outre-manche, et le défaut de papier monnaie. Ensuite, le traité d'Eden-Rayneval, signé en 1786 qui permet aux Britanniques d'inonder le marché de leurs marchandises. Mettant en parallèle les Bourbons et les souverains anglo-saxons beaucoup d'historiens dénoncent l'indifférence des Capétiens à l'évolution économique. La condamnation se nuance : il est indéniable que la politique de la Couronne dénote plus une vision particulière du monde qu'un manque de clairvoyance pratique.
L'Anglicanisme ne stigmatise pas le trafic d’argent ; mieux, il considère les fortunes issues de lui ainsi qu'une marque de prédestination divine. Le Catholicisme jette l'anathème sur les banquiers. Les Bourbons abordent précautionneusement l'ère du profit matériel. Ils s'affirment les gardiens attentifs des valeurs spiritualistes et chevaleresques.
La royauté française est absolue, mais les lois du roi sont révocables et réformables. Deux bornes les contiennent : « les Lois Fondamentales du Royaume », qui sont imprescriptibles, et « les Institutions Coutumières », qui règlent le quotidien des provinces, des cités, des corporations et des gens. Les Parlements et les États Provinciaux veillent au respect des antiques libertés. On dit les libertés comme on dit les peuples. C'est une conception positive, réaliste et organique.
La société d'Ancien Régime ignore la notion de classe. Ses membres jouissent d'une aisance différente suivant les services qu'ils rendent, les charges qu'ils occupent, les travaux qu'ils accomplissent, les talents qu'ils exploitent. Le service et la charge engendrent des privilèges le plus communément honorifiques, qui règlent la vie sociale des trois Ordres.

Le clergé comprend cent-trente mille personnes, réparties sur cent-trente-cinq diocèses. Les prélats affichent en majorité des idées philosophiques incompatibles avec leur sacerdoce. Les simples tonsurés voient quelquefois le bénéfice de leur cure les hisser de la misère à la pauvreté. Les vingt-mille moines et les quarante-mille religieuses subissent les diatribes des philosophes, les critiques des économistes. L'éclatante prospérité masque la précarité trésorière de l'« Église en France » qui frôle le déficit. La Dîme permet difficilement d'acquitter le « don gratuit » voté au roi tous les cinq ans.
Quatre-vingt-deux-mille familles constituent le deuxième ordre. La noblesse d'épée s'acquiert à l'exercice du métier des armes. La noblesse de robe s'obtient en remplissant une charge ou un office. La noblesse de cloche dérive de l'acceptation de responsabilités municipales majeures. La noblesse, qu'accule à la gêne les prohibitions professionnelles, réagit aux alentours de 1780. Cette « réaction nobiliaire » achève d'irriter le Haut-Tiers impatient de considérations et froisse le paysan. Les Droits féodaux, de faible rendement, humilient plus encore qu'ils ne blessent.
Les nobles se flattent entre eux de l'ancienneté de leur lignage, contrastent par leur train de maison. Les hobereaux, l'agriculture ne déchéant point, sèment, récoltent, partagent les conditions de vie des paysans dont ils sont les voisins.
Fondement d'un système social où le sacrifice prévaut sur l'or et l'égoïsme, la noblesse proclame son identité avec maladresse. Novatrice ? Conservatrice ? Elle est sourde aux grondements de l'orage qui approche.
Le Troisième Ordre regroupe les roturiers, inégalement nantis :
Dans les villes réside la Bourgeoisie, et distinguée d'elle la Plèbe des domestiques, manouvriers et indigents. Les hauts bourgeois s'adonnent à la finance ou à l’industrie ; ils traitent en leurs hôtels les écrivains et les artistes. La Bourgeoisie méprise conjointement la populace des rues et la paysannerie. Envieuse, elle aspire à évincer la noblesse des honneurs.
Les « manants » – du latin maneo : celui qui tient – se répartissent en quatre catégories : laboureurs, fermiers, métayers, valets et journaliers. Le campagnard est aussi cabaretier, bûcheron, sabotier, voiturier, maréchal-ferrant, colporteur, et concurrence les humbles qui peinent aux tâches indispensables à l'équilibre rural.
La paysannerie tient quarante pour cent du sol où la pénurie d'engrais motive l'usage de la jachère. Les villages conservent des biens communaux accessibles à chacun. Les progrès que préconisent les Intendants Provinciaux et les Physiocrates inquiètent : suppression de la jachère, prairies artificielles, partage des communaux, autant de changements dont on ne comprend guère la finalité.
Le roi, dépositaire des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, supervise conseils, bureaux et commissions. Mais, dans les provinces la loi se modifie. On ne peut faire un pas sans trouver des lois différentes, des privilèges de toutes espèces. La loi s'adapte aux particularismes des Pays d'État et des Pays d'Élection.
Dans les Pays d'État, les États Provinciaux se préoccupent de préserver la spécificité des traditions que deux-cent-quatre-vingt-cinq coutumes perpétuent au nord de la Loire.
Dans les Pays d'Élection huit Parlements, dont celui de Rouen, vérifient les lois, jugent en dernier ressort et rendent les arrêts d'administration publique.
Les circonscriptions administratives ne coïncident pas. Les six diocèses, les trois généralités de Normandie, les gouvernements militaires et les baillages se chevauchent. L'Intendant est roi dans sa province. Les Parlements, les États, le Lieutenant-général, rognent son omnipotence.
Le fisc prélève deux sortes d’impôts : l'impôt direct, sur le revenu et sur les biens. L'impôt indirect, les Aides, les Traites et la Gabelle. Le mode de perception de ces impôts varie selon la province. Le clergé est exonéré des impôts directs, la noblesse de la Taille. L'Intendant répartit l'impôt entre les paroisses. Les populations exècrent les agents de la Ferme et les préposés à la répression de la fraude : les gabelous suscitent des haines inexpiables.
Le bonheur français commence à se dégrader en 1778. Les trop belles moissons provoquent l'effondrement des cours. La libre circulation des grains n'enrayera pas la catastrophe céréalière. En 1785, la sécheresse fane les herbages. La détresse des campagnes se répercute sur l'industrie et les fabriques.
Afin qu'ils l'aident de leurs suggestions, le monarque convoque le 22 février 1787 cent quarante-quatre notables. Le 25 mai, les « sages » ne lui proposeront rien de concret. En 1789, Louis XVI, répondant aux souhaits des libéraux, convoque, le 1er mai, les États-généraux. Aussitôt le Tiers exige le doublement de sa députation, et le « vote par tête » à la place du coutumier « vote par Ordre ». Le 4 août, les États-généraux, devenus Assemblée nationale, abrogent les privilèges des provinces, jugés « féodaux ». L'Assemblée nationale morcelle la France en quatre-vingt-trois départements ... devenus égaux en droit mais surtout isolés devant la puissance de Paris qui s'arroge l'exclusivité du civisme.
Francois Delaunay

La révolution française en Normandie

Si la Normandie a semblé, aux heures riches de son histoire, être un acteur intellectuel, social et économique, force nous est d'admettre que ce n'est pas le cas de la période révolutionnaire, à ce titre il vaut mieux, effectivement, parler de révolution « française » que de révolution en Normandie.

En 1771, le chancelier Maupeou, parisien d'origine et de tradition, supprime les Parlements provinciaux. Celui de Rouen se trouve remplacé par deux « Conseils supérieurs » siégeant l'un à Bayeux et l'autre à Rouen. La Normandie se trouve coupée en deux par la volonté du pouvoir central, fidèle à l'adage « diviser pour régner ».
Le geste de Maupeou suscite une nuée de pamphlets. Le plus curieux, intitulé « Manifeste aux Normands » est indéniablement teinté d'autonomisme. L'auteur rappelle les privilèges de l'Échiquier, les dispositions du Coutumier et les engagements de la Charte aux Normands. Selon lui, il y a violation unilatérale du contrat qui unit la Normandie au royaume de France et il faut en tirer les conséquences. La riche Normandie dont parlaient les Encyclopédistes est touchée par la crise et Louis XVI décide de lui apporter le réconfort de sa personne en juin 1786. Notre province compte alors plus d'un million huit cent mille habitants et paye chaque année cinquante et un millions de livres d'impôts.
Trois mois après, en septembre 1786, est signé le traité d'Eden Rayneval entre la France et l'Angleterre. Les tarifs douaniers sont abaissés, mais la Grande Ile possède une avance technique qui ruine les manufactures textiles normandes. Les ouvriers, réduits au chômage, forment des bandes errantes. Cette crise industrielle s'accompagne d'une chute des prix agricoles en 1777 suivie d'une flambée des cours l'année suivante, succession d'un été trop pluvieux à un été trop sec.
Le roi réunit, en 1787, l'assemblée des grands notables du royaume. Les représentants normands, menés par le duc d'Harcourt, font état de la Charte aux Normands. Ils exigent son respect intégral et manifestent un esprit très particulariste devant toute tentative de solution absolutiste.
Les parlementaires, menacés par la réforme « Lamoignon » prennent le relais des grands privilégiés. Ils défendent leurs propres intérêts, mais réalisent un front uni d'opposition qui va des plus grands aux plus humbles. L'annonce, dès l'été 1788, de la convocation des États-généraux provoque un grand mouvement d'espoir. Les normands de toutes les classes sociales aspirent à de profondes réformes. La Normandie, tout entière, espère. La noblesse et le clergé rédigent des cahiers de doléances dans le cadre du baillage ; le tiers dans le cadre de la paroisse ou de la corporation. Très vite des divergences apparaissent entre les ordres, mais il est significatif que l'allusion à la Charte aux Normands et aux libertés provinciales se retrouve aussi bien chez les humbles que chez les nobles. Le tiers état, dans la paroisse de Saint Martin de Maromme, dans le baillage de Rouen, demande ainsi « que la province soit réintégrée dans ses droits qu'elle a droit de réclamer ; que les États provinciaux soient rétablis ; que la Charte normande soit respectée et exécutée en tout ce qu'il n'y aura point de contraire aux articles ci-après ».
Au printemps 1789, on voit apparaître des cahiers consacrés au quatrième ordre, celui des silencieux et des mal-nourris. Une brochure, datée du 29 avril 1789, « La mort du tiers-état », porte en sous titre « Plaintes que présentent au Roi les bourgeois de la ville de Rouen, au nom des malheureux de toute la province de Normandie ». Ces cahiers dénoncent les abus, les privilèges, les inégalités ... La cassure est profonde entre la bourgeoisie et le peuple qui s'adresse à « la sollicitude paternelle de notre auguste monarque ». La grande peur de l'été 89 atteint peu la Normandie, sauf dans les campagnes d'Alençon et de Falaise. Cette rupture va se traduire en émeutes au moment où le prix des grains devient insupportable : à Rouen, dans la nuit du 11 au 12 juillet, au Havre et à Caen le 15 juillet.
À Rouen, la bourgeoisie locale forme une municipalité nouvelle sous la direction du libéral marquis d'Herbouville. L'émotion populaire aboutit à la naissance d'un pouvoir bourgeois ... Mais, le 4 août, la municipalité demande au gouverneur de Normandie de réprimer de nouvelles émeutes.
Désormais tout va se décider à Paris. Les députés normands sont en général très désireux de profondes réformes, mais dans le calme et l'ordre. Les travaux de la Constituante vont marquer une rupture avec l'ancien ordre des choses et décevoir les tenants du particularisme de la Normandie. Avec les privilèges de la noblesse on va aussi abandonner, dans la nuit du 4 août, les libertés des provinces. La Normandie se voit morcelée en cinq départements et perd sur la rive droite de la Bresle deux douzaines de communes. Désormais, face à un pouvoir qui se voudra de plus en plus unificateur, l'esprit communal va remplacer l'esprit provincial. La résistance normande, face à l'autoritarisme et à la centralisation, se trouve émiettée, atomisée.
Le 12 juillet 1790, la constitution civile du clergé supprime les évêchés d'Avranches et de Lisieux. Le concordat impose au clergé de prêter serment de fidélité à la Nation. La division s'établit pour moitié entre prêtres constitutionnels et réfractaires.
Quand s'achève la première partie de cette révolution, les espérances normandes restent intactes. La bourgeoisie, enrichie par la vente des biens nationaux, semble la grande bénéficiaire de l'opération. Les normands sont satisfaits, tout c'est passé dans l'ordre et dans le calme.

d'après Jean MABIRE et Jean - Robert RAGACHE
HISTOIRE DE LA NORMANDIE, éditions FRANCE EMPIRE, 1986

Des batailles sans larmes

L'examen des cahiers de doléances révèle des préoccupations d'ordre, institutionnel pour moins de la moitié des thèmes, social pour le quart des thèmes, économique pour un cinquième, et se plaçaient sous la bienveillance paternelle du monarque, alors que les idées nouvelles accusaient la faible pénétration des doctrines, trois pour cent pour les droits de l'homme et contre l'arbitraire.
Garante de stabilité, d'ordre et d'apaisement social, l'assemblée législative plaît aux normands. Les représentants normands se veulent des hommes pondérés, à l'image de leur province, plus empreints de bon sens que d'idées réellement nouvelles. Ils n'ont rien compris aux doléances sur les libertés provinciales et la tourmente parisienne les distraira de la revendication normande.
Le 5 novembre 1791, quatre-vingt-quatre caennais, regroupés sous le nom de Coalition Normande, sont arrêtés pour complot anti révolutionnaire. Les autorités municipales demandent la grâce de tous ces inculpés. Entre l'accueil enthousiaste des États généraux et les princes de la révolution parisianiste c'est un premier déphasage. La tension monte et, le 20 avril 1792, pour minimiser les effets désastreux du marché noir qu'enrichit les spéculateurs, est déclarée « La Guerre contre tous les Tyrans » ; le 4 septembre, le duc de La Rochefoucauld est assassiné à Gisors ; c'est une version locale des massacres de septembre, la Normandie commence à s'inquiéter. Après la suspension du roi, on élit une nouvelle assemblée : la Convention. Montagnards et Girondins incarnent les vertus du jacobinisme et du fédéralisme. Provinces contre Paris, légalisme contre extrémisme, enracinement contre centralisme ; ici le débat qui sourd depuis Richelieu prend sa dimension contemporaine : « la Liberté ou la Mort », le slogan vaut dans les deux camps, la victoire de la vertu contre la vie du traître, l'idée paraît simple, elle ne cessera de s'imposer lors de tous les bouleversements à venir.
La mort de Louis XVI, votée par vingt-deux députés de Normandie sur soixante-quatre, ainsi que les directives parisiennes, contre le clergé entre autres, mécontentent les Normands qui ne comprennent plus la succession des événements que comme la confiscation croissante du pouvoir par les parisiens. Le refus de cette dictature conduit de la méfiance à une hostilité ouverte. Le conseil général du Calvados adresse à l'assemblée une pétition qui affirme que : « les citoyens n'ont pas applaudi à la chute d'un tyran pour ramper sous le despotisme municipal de Paris », et les jacobins de Caen rompent leurs relations avec ceux de la capitale. Les Amis de la Constitution de Saint-Lô reprochent aux Conventionnels de se laisser dominer par Paris et ses « brigands altérés de sang ». De Lisieux, on leur écrit : « Vous avez forcé, par vos principes anarchiques et liberticides, la majorité des patriotes à vous abandonner » Le trio Marat-Robespierre-Danton est attaqué : « La France n'est pas dans Paris ; elle est formée de quatre-vingt-quatre départements », et ouvertement menacé « c'est la Patrie en habit de deuil qui vous parle par notre voix ». Jusqu'alors les Normands se contentent de condamnations épistolaires, mais ils menacent de passer aux actes pour que la Convention retrouve sa liberté. Caen devient la capitale du mouvement fédéraliste. Mais dans le département les insurgés sont loin de faire l'unanimité et dans la Normandie reçoivent un soutien de principe ou un refus prudent. Au terme d'un mois de discussions, le mouvement fédéraliste n'arrive pas à se structurer, l'enthousiasme populaire est absent.
Face au mouvement la Convention réagit d'abord politiquement : décrets d'accusation, suspensions, transferts de chef-lieu de département, préludent à une lutte économique contre l'approvisionnement de la capitale que les conventionnels contreront par un embargo sur le grain et les farines vers la Normandie. Puis, une force armée, composée de parisiens, est complétée de gardes nationaux de Gaillon, Gisors, Vernon et des Andelys. Il est temps que le gouvernement réagisse car les insurgés sont enfin passés à l'action. Le 22 juin, une avant-garde fédéraliste quitte Caen pour rejoindre Pacy-sur-Eure le 1er juillet avant de rallier Vernon le 13 du même mois.

Jacques Louis David Portrait présumé de Jean-Baptiste-Robert Lindet, 1795
Successivement procureur-syndic, député à la Législative et à la Convention, chargé de la commission des Vingt et un, de rédiger un rapport sur les crimes imputés à Louis XVI ; il vota la mort sans appel et sans sursis. Membre du Comité de Salut Public, il montra une grande modération. Amnistié sous la Terreur ; acquitté à la suite de la conspiration de Babeuf, il mourut à Bernay en 1823.

À Vernon, la situation des républicains est loin d'être brillante: « Nous sommes sans chef, sans plan déterminé et sans pain » écrit Duroy à Lindet. Le combat se déroulera en fin de journée, avec quelques coups de canon et une débandade des deux côtés, à Brécourt. Cette bataille « sans larmes », car il n'y eut aucun mort, sonnera le glas du fédéralisme « normand ».
Pacifistes ou juristes ? Les fédéralistes, excellents « phraseurs », hommes de tribune, ont atteint leur seuil de compétence. Républicains, mais surtout modérés ils n'ont su assumer les conséquences de leurs premières décisions. Certains se prétendirent « dupes ». Mais de qui ? Des députés Girondins réfugiés en Normandie ? Des chefs militaires auxquels ils ne voulaient pas obéir ? En fait l'échec du fédéralisme s'explique par un manque d'enthousiasme populaire pour aller, même si c'est une marotte de républicains, mourir à la guerre.
Pourtant, ce même 13 juillet, une jeune Normande, Marie-Anne Charlotte de Corday d'Armont prouve, comme les antiques héroïnes de sagas, qu'une femme peut commettre une geste de vengeance et d'honneur. Elle a compris que les circonstances exceptionnelles exigent des mesures exceptionnelles. Mais son acte sera quand même dénoncé par un agent royaliste comme une erreur : Marat était trop nécessaire pour semer la division chez les républicains.
d'après gabriel DESERT
La révolution française en Normandie Bibliothèque Historique Privât

Chouans de Normandie

La chouannerie met en jeu les notions de révolution, d'évolution et de contre-révolution, dans un siècle ponctué de soulèvements populaires et de réactions. L'approche du phénomène « chouan » révèle deux composantes, l'une ethnologique, le chouan est un sauvage au sein d'un monde moderne, l'autre historique, les insurgés ont donné lieu à des interprétations divergentes et idéologiquement tendues de l'histoire.
Si la chouannerie a longtemps paru comme un phénomène marginal, donc peu susceptible d'intérêt pour l'historien sérieux, aujourd'hui l'histoire a découvert l'intérêt du minoritaire et du marginal.
L'importance de la révolution de 1789 n'est plus à démontrer. Qu'on la maudisse ou qu'on la magnifie, la Révolution française est une charnière incontournable de l'histoire de France, le pivot qui fait brutalement passer de la monarchie à la république, c'est une évidence, mais, et surtout, du privilège à la loi, de la diversité des coutumes au centralisme. La Révolution française est bien cela, et sèchement cela : française, donc abstraite. L'homme y tient une place presque accidentelle, et tous les penseurs de La Révolution, de Droite comme de Gauche, ont fait reposer leurs analyses sur des systèmes, jamais, ou presque sur ceux dont elle voulait faire le bonheur, même malgré eux. Mais, on l'oublie trop souvent, la révolution française n'a été qu'une affaire d'hommes, conscients ou non de l'importance des événements, qui ont agit et réagit en fonction de leur foi, leurs intérêts ou leur fidélité. Le fait le plus remarquable de la chouannerie est qu'elle ne se manifeste qu'en réaction à un ordre que représentent les envoyés des villes. La France du dix-huitième siècle est rurale et supporte mal ces nouveaux riches qui singent les grands tout en refusant de maintenir leurs manifestations de libéralisme débonnaire. Le bourgeois, qui a renié la terre, est ressenti comme un intrus, le commissaire-citoyen comme son obligé. C'est la levée en masse qui, causant les premières désertions, provoquera les premiers mouvements chouans : « Si c'est pour leur guerre, qu'ils y aillent » est une phrase qui est devenue une ritournelle. Et quitte à se battre, autan le faire chez soi qu'au loin. La Vendée qui prenant les armes et cherche désespérément ses chefs en est un exemple. Les nouveaux capitaines sortis du lit, comme Charette venu en Poitou mettre sa famille à l'abri des fureurs parisiennes, en sont la triste démonstration. Néanmoins, les chefs chouans apporteront, en plus des techniques militaires, le vernis idéologique à une vieille rancœur qui ne demandait de son côté qu'à s'assouvir.
Chouans,
d'après une vignette de propagande d'Action Française

Devenus « chasseurs du roi » dans une Grande Armée Catholique et Royale, les paysans du Bocage et des massifs forestiers s'affrontent contre les Bleus des villes dont l'uniforme n'est pas sans rappeler celui des gabelous détestés. En tant que sauvage, le chouan aurait dû être le « troisième larron », plus peuple que les républicains, plus passéistes que les monarchistes. Seulement les circonstances l'ont conduit sur le chemin de la rébellion. Les prés communaux ont été vendus comme Biens nationaux, les Biens nationaux ont profité aux bourgeois. Les rêves des cahiers de doléances se sont envolés devant les effets de manches des beaux parleurs des villes, et le curé de la paroisse, bien souvent né dans le canton, a été remplacé par l'intrus dont personne ne se sent familier.
En Normandie, plus particulièrement, les premières émotions notables ne se situent pas en 1793, mais connaissent leur apogée en 1796, sous les ordres du Comte de Frotté. Ce dernier, demeuré longtemps dans l'expectative, ne prend place dans la chouannerie qu'après que l'épopée vendéenne soit venue s'écraser sur les remparts de Granville. Il s'agit en fait d'un officier plus ou moins affilié à la franc-maçonnerie de l'époque et de surcroît protestant, qui incarnera les espoirs tardifs du combat catholique et monarchiste.
Nos gens sont longs à prendre parti, mais l'histoire des révoltes normandes explique plus que certainement l’attentisme : on agit lorsque qu'il n'y a plus d'autre alternative. Les réquisitions de chevaux, de main d'œuvre, les atteintes à la propriété collective des paroisses, mais aussi privée lorsque le cours du blé est fixé à vil prix, l'incompréhension de Paris et de ses représentants vis à vis de populations sur la défensive, auront fait plus pour développer la chouannerie, en définitive, que les changements de la révolution.
Jean HALOT

La forêt Normande en 1793

De tous les États de l'Europe occidentale, la France dispose de la plus grande surface boisée.
Il en fut de même dès les temps les plus anciens. La forêt médiévale était beaucoup plus étendue que la forêt contemporaine.
En Normandie comme ailleurs, la forêt va connaître plus de mille ans d'une lente agonie.
À ce capital naturel vital la Révolution fut bien prête d'asséner un coup fatal. Le 4 août 1789, c'est l'abolition des privilèges, et notamment des « coutumes » qui régissaient l'exploitation forestière. Les besoins de la guerre, mais surtout des marchands de bois, vont exploiter à outrance ce patrimoine. Les résultats de ce pillage aveugle sont effrayants. La forêt de Bleu, dans le Pays de Caux, qui était presque aussi vaste que l'actuelle forêt de Brotonne, disparaît totalement en quelques années. En 1793, la toute jeune république doit faire face à une coalition anglo-néerlandaise, et mobilise trois-cent-mille hommes. De pair, les communes mettent alors largement bois et taillis à contribution pour la marine de guerre de la république. Ainsi la forêt de Beaumont se trouve réduite de soixante pour cent de sa superficie.
Cette même année connaîtra son lot de folies envers les symboles mêmes de l'arbre. C'est ainsi que, en 1793, des révolutionnaires montent une véritable opération de guerre contre ... le chêne d'Allouville. L'instituteur du village, Jean-Baptiste Bonheure, le sauvera en y apposant un écriteau libellé : « Ici temple de la raison ».
La terrible menace qui pèse sur le patrimoine arboricole en ces années noires, vont susciter des réactions. Les chouans, forestiers du marquis de la Londe, vont éviter à la forêt du même nom son anéantissement total, mais ils n'empêcheront pas l'impressionnante amputation qu'elle subit au bénéfice des bourgeois rouennais. À savoir, que l'actuelle place de l'église Saint Clément était, avant la révolution, un carrefour forestier.
Au sortir de la révolution, la restauration, face à ce désert immense va réagir vigoureusement, elle entreprend un vaste programme de reboisement.
Aujourd'hui, même si l'apparence de nos forêts a irrémédiablement changé, notre génération peut disposer de la même surface boisée que celle que connaissaient nos ancêtres, en 1400.
W. Lambert

L’histoire de France, ou une mémoire mutilée

Ces années de « commémoration » des événements marquants qui illustrèrent la révolution française ramènent au jour, bien involontairement sans nul doute, un phénomène constant dans l'appréciation et l'interprétation de l'histoire événementielle « officielle ». En effet, les zélateurs de l'idée de la république-une-et-indivisible ou les tenants de l'héritage capétien de « droit divin », qui ne saurait donc être morcelé, se retrouvent sur ce point précis: l'histoire de la « nation française » est identique pour tous ses constituants actuels, ce qui signifie pour ceux-ci qu'un événement aurait donc eu la même répercussion d'un bout à l'autre du territoire, avec, comble d'ironie « effet rétroactif » pour les régions incorporées à l'Hexagone ultérieurement, telles que le Comté de Nice, peu concerné, à l'époque par le grand chambardement français, avant que les armées de la Convention ne viennent, fraternellement, lui apporter les lumières que ses habitants ne souhaitaient pas forcément recevoir !
Donc, la notion d'histoire régionale, fût-elle en réalité l'histoire d'authentiques nations aux racines parfois plus anciennes que celles du grand amalgame français, doit être niée, oubliée (Euzkadi, vous avez dit Euzkadi ? !) Ainsi le veut le dogme « officiel » et avec le soutien, ô combien actif ! du système éducatif, la complicité, active ou passive, des médias de toutes natures, à quelques trop rares exceptions près néanmoins telle que quelque radio locale à vocation d'éveil culturel ou quelque magazine associatif comme celui que vous lisez, les nuances et particularités sont une fois de plus niées : Blancs d'un côté, Bleus de l'autre, sur un territoire bien défini et bien entendu intangible. Ainsi, par exemple, la Bretagne fut blanche et la Normandie bleue ... Louis de Frotté, Normand, et de famille protestante, était-il plus bleu que le général révolutionnaire Moreau, né à Morlaix en 1763 – à moins que Morlaix ne soit pas en Bretagne ? A la trappe, aux oubliettes de l'histoire ces empêcheurs de pontifier en rond. Aussi continue l'on à enseigner et à affirmer à de braves gens qui n'en peuvent mais, une histoire qui n'est pas la leur, ou si peu, mais qui est celle que certains voudraient qu'elle fut, même au prix de quelques entorses et contrevérités.
L'histoire de France, la vraie, est finalement beaucoup plus nuancée que celle décrite dans nos livres d'école. Elle est le résultat d'une mosaïque d'événements qui marquèrent plus ou moins telle ou telle région. Omettre de le reconnaître et de l'enseigner est une façon de mutiler la mémoire des peuples de France.
Quel avenir peut-on prétendre bâtir sur une telle conception du passé et de l'information ?
Tant que l'histoire ne sera pas relue pour enfin donner une juste notion des choses aux citoyens, l'avenir des régions restera hypothéqué.
Mais cette révision nécessaire ne doit pas être une décision « venue d'en haut ». Il est possible, si la volonté existe, que chacun reprenne conscience de son véritable héritage et replace alors à leur juste mesure les événements que l'on commémore et en tire ainsi les réels enseignements qu'ils sont susceptibles de nous révéler.
Christian Camille

Idées reçues sur La Révolution

En Europe, il existe autant de monarchies que de républiques. Les partisans de l'idée monarchique, tout comme leurs détracteurs, idéalisent un type de société qui ne vaut que parce que nous sommes prêts à lui sacrifier. Mais cela suffit-il pour remettre en cause tant d'espoirs et de peines placés dans des lendemains que l'on espère toujours meilleurs ? Le principe à ne jamais oublier est que tout repose sur l'homme, sa culture, sa civilisation. Mais, plus la vie quotidienne des peuples s'imprègne de rigueur technique, plus leur vie intérieure sacrifie à l'irrationnel. L'effondrement des structures traditionnelles d'encadrement moral accentue encore ce phénomène. Ainsi aux meilleurs temps de la révolution française, avant que la corruption ne souille la vertu, assister aux débats de l'Assemblée nationale nécessitait un billet de tribune que l'on devait acheter trois livres ! Par contre, Charlotte Corday pouvait approcher Marat sans qu'un cordon de police lui rende la tâche impossible ... Combien de Conventionnels ont sombré dans l'affairisme ? Combien d'entre eux ont accepté les titres ronflants de l'aristocratie impériale ?
On est loin de la vertu intransigeante que l'on affichait avec ostentation en juin 1789.
Le 21 janvier 1793, la France a signé son acte de décès. La fin voulue d'une dynastie est une volonté de rupture dont les conséquences dépassent le seul geste contre une personne. Les Conventionnels, qui ont refusé que la déchéance de la monarchie soit soumise au peuple, savaient que ce sacrifice, même et surtout symbolique, était une nécessité pour que leur « sens de l'histoire » poursuivre son cours.
Ce sens de l'histoire prend racine au siècle de Louis XIV, dans l'organisation d'un État où un seul cristallise l'ensemble des aspirations des peuples regroupés dans un espace géographiquement contrôlé. Ce centralisme s'appuyant sur une vision romaine de l'État conduira, trois souverains plus tard, à la confiscation des libertés communales et provinciales.
Le Roi, même absolu, représentait un lien charnel avec l'ensemble des communautés. Les premiers républicains ont tenté d'imposer le visage d'une femme pour personnifier la mère patrie. Malgré celte intention louable, ce visage aura été double : la mère qui console et qui rassure, celle qui fait prendre les armes pour assurer sa survie. L'image du clocher justifiée par celle des lointains champs de bataille, vaut celles de la continuité dans le changement et de la force tranquille. La république assume tant bien que mal cette volonté de stabilité d'une société que ses élans de générosité déstabilisent. Écartelée entre les aspirations de liberté et l'urgence de maintenir la cohérence de l'ensemble, le système ne cesse d'osciller entre des phases de permissivité et de recentrage qui froissent les aspirations à la reconnaissance des collectivités.
Parler de révolution, même française, n'est jamais chose aisée : il faut réussir à quitter le prêt à penser, guetter avec intransigeance les préjugés hérités, pour tenter de comprendre et de dégager une opinion sur ces journées qui ne firent que confirmer la France que nous connaissons, avec ses contradictions et ses « maladresses ». Il faut savoir accepter le poids de l’histoire : nous ne fûmes pas fameux, pas plus que nous le sommes redevenus. La Normandie, originale depuis 911, s'est vue dépassée par des événements qui montraient que notre décadence était bien avancée. Est-ce une raison pour éradiquer deux siècles d'une histoire Jacobine que de toute façon nous aurions subie ?
Gilbert Crespin

Deux siècles après ... faudra- t- il reprendre la Bastille ?

On ne dira jamais combien le pouvoir central a maltraité les Normands. Le quart des impôts du royaume et la soldatesque à la moindre récrimination, sous l'Ancien Régime, et les propos haineux des « parisiens » de fraîche date, impuissants à comprendre que, si les idées nouvelles peuvent plaire en Normandie, le chaos des années de révolution satisfont peu les Normands. En Normandie, la confiance s'accorde plus à des hommes qu'à des principes, et lorsque ces principes vont à rencontre des intérêts et des revendications particularistes, l'attitude des normands ne laisse pas d'être surprenante...
La période révolutionnaire a vu, tout comme les autres époques de notre histoire, des personnes agissant plus en fonction de leurs convictions propres, que dans le sens de l'intérêt général ; la Normandie ne manque pas, ici non plus, d'apporter son lot de grandes figures : tout le monde connaît Marianne Charlotte Corday, quelques uns se rappellent le nom de Jean-Baptiste Le Carpentier, Normand de la Manche et farouche représentant en mission qui sut galvaniser les énergies républicaines lors de la bataille de Granville. Combien, hors du département de l'Eure, savent qu'il y eut deux Lindet, dont un curé, et qui, bien que Montagnards acharnés, firent preuve d'indulgence et de dévouement pour leurs frères Normands ? Pour un Frotté, si brillant et romantique général d'une Armée Catholique et Royale d'insurgés qu'il fut, dont la littérature fait une apologie tapageuse, combien de pages sur le marquis de la Londe qui organisa un réseau contre révolutionnaire aux portes de Rouen ? Et qui se souvient encore de Lebrun ... et de tant d'autres ? Pour une population toute entière qui lutta à Granville, contre les « hordes chouannes » qui terrorisaient la république, pas un éloge dans les manuels, alors qu'elle sauva la Convention !
On ne le répètera jamais assez : les députés de la Convention qui ont voté la mort du roi étaient des produits des écoles et des universités de la monarchie. Pour soixante-quatre normands à la Convention, vingt-deux ont volé la mort, toutes nuances d'infliger la peine confondues. C'est peu, mais c'est déjà trop sachant ce que tous devaient au régime qu'ils venaient de renverser. Mais en agissant ainsi, ils se soumettaient à l'hystérie des manifestations parisiennes et non pas à la volonté des populations qui les avaient mandatés pour réformer une société. Les cahiers de doléances traduisaient, outre un malaise social et économique, une volonté d'autonomie que les députés ont vite oublié. L'alençonnais Hébert, alias Père Duchesne, sous ses flots de propos injurieux et orduriers, n'était que la partie avouée des normands qui « trahirent » la Normandie une certaine nuit d'août 1789.
Au-delà de la mystique révolutionnaire, qui déforme les mots et leur sens, c'est un renforcement du pouvoir parisien que les Normands du dix-huitième siècle ont subi. Une dépossession contre laquelle ils ne se sont que mollement défendus au moment même où, à l'occasion d'un profond remaniement social, ils auraient pu voir réappliquée la formule « Normands sires de seï ». Au lieu de cela, ils n'ont su trouver l'énergie nécessaire pour réaliser ce qu'ils réclamaient. Les Nations d'Ancien régime se sont vues interdire cette définition, et imposer l'unicité et l'indivisibilité d'une seule Nation « française ». Au-delà de cette modification, anodine dans le feu de l'enthousiasme révolutionnaire, c'est une nouvelle ouverture pour l'ingérence française dans nos affaires ; les mandatés, tout juristes et phraseurs qu'ils étaient, n'y prirent pas garde, mais les normands en comprirent très vite l'importance et, paradoxalement, se désintéressèrent des événements alors qu'à Lyon les fédéralistes luttaient contre les jacobins avec l'énergie du désespoir, et qu'ailleurs en Europe d'autres réclamaient, armes à la main, leur rattachement à la jeune république.
L'hégémonie parisienne a vu son action renforcée par les notables qui donneront naissance au localisme. Ces fidèles supporteurs du nouveau régime endosseront leurs nouvelles responsabilités avec d'autan plus de dévouement qu'ils avaient compris combien l'éloignement relatif du pouvoir pouvait leur être profitable. Enrichis par les produits et les ventes de biens nationaux, ils contribueront par leur collaboration servile à l'effacement de la province Normande. La Normandie n'est plus qu'une partie de La Province que l'on exploite ; Province, terme générique que l'on oppose à Paris, Capitale, où tout doit être décidé, d'où tout doit être initié et imité.
L'esprit du jacobinisme n'est pas mort, et il continuera de rayonner après que la France ait existé, comme il éclaire l'Europe et guide la conclusion des grands accords internationaux. Qu'importent, alors, les intérêts vitaux des populations authentiques face aux grands principes rendus d'autant plus intangibles qu'ils échappent, chaque jour un peu plus, à l'entendement du peuple au nom duquel on parle sans plus se soucier de son existence.
Jean-François Bollens