On trouvera ici, pour l'heure, les textes de Runes-Lettres d'O.D.I.N.
qui, à terme, seront complètés des réflexions du groupe de
travail de l'O.D.I.N.-76, de sa création jusqu'à sa dissolution en 1996.



dimanche

Chouans de Normandie

La chouannerie met en jeu les notions de révolution, d'évolution et de contre-révolution, dans un siècle ponctué de soulèvements populaires et de réactions. L'approche du phénomène « chouan » révèle deux composantes, l'une ethnologique, le chouan est un sauvage au sein d'un monde moderne, l'autre historique, les insurgés ont donné lieu à des interprétations divergentes et idéologiquement tendues de l'histoire.
Si la chouannerie a longtemps paru comme un phénomène marginal, donc peu susceptible d'intérêt pour l'historien sérieux, aujourd'hui l'histoire a découvert l'intérêt du minoritaire et du marginal.
L'importance de la révolution de 1789 n'est plus à démontrer. Qu'on la maudisse ou qu'on la magnifie, la Révolution française est une charnière incontournable de l'histoire de France, le pivot qui fait brutalement passer de la monarchie à la république, c'est une évidence, mais, et surtout, du privilège à la loi, de la diversité des coutumes au centralisme. La Révolution française est bien cela, et sèchement cela : française, donc abstraite. L'homme y tient une place presque accidentelle, et tous les penseurs de La Révolution, de Droite comme de Gauche, ont fait reposer leurs analyses sur des systèmes, jamais, ou presque sur ceux dont elle voulait faire le bonheur, même malgré eux. Mais, on l'oublie trop souvent, la révolution française n'a été qu'une affaire d'hommes, conscients ou non de l'importance des événements, qui ont agit et réagit en fonction de leur foi, leurs intérêts ou leur fidélité. Le fait le plus remarquable de la chouannerie est qu'elle ne se manifeste qu'en réaction à un ordre que représentent les envoyés des villes. La France du dix-huitième siècle est rurale et supporte mal ces nouveaux riches qui singent les grands tout en refusant de maintenir leurs manifestations de libéralisme débonnaire. Le bourgeois, qui a renié la terre, est ressenti comme un intrus, le commissaire-citoyen comme son obligé. C'est la levée en masse qui, causant les premières désertions, provoquera les premiers mouvements chouans : « Si c'est pour leur guerre, qu'ils y aillent » est une phrase qui est devenue une ritournelle. Et quitte à se battre, autan le faire chez soi qu'au loin. La Vendée qui prenant les armes et cherche désespérément ses chefs en est un exemple. Les nouveaux capitaines sortis du lit, comme Charette venu en Poitou mettre sa famille à l'abri des fureurs parisiennes, en sont la triste démonstration. Néanmoins, les chefs chouans apporteront, en plus des techniques militaires, le vernis idéologique à une vieille rancœur qui ne demandait de son côté qu'à s'assouvir.
Chouans,
d'après une vignette de propagande d'Action Française

Devenus « chasseurs du roi » dans une Grande Armée Catholique et Royale, les paysans du Bocage et des massifs forestiers s'affrontent contre les Bleus des villes dont l'uniforme n'est pas sans rappeler celui des gabelous détestés. En tant que sauvage, le chouan aurait dû être le « troisième larron », plus peuple que les républicains, plus passéistes que les monarchistes. Seulement les circonstances l'ont conduit sur le chemin de la rébellion. Les prés communaux ont été vendus comme Biens nationaux, les Biens nationaux ont profité aux bourgeois. Les rêves des cahiers de doléances se sont envolés devant les effets de manches des beaux parleurs des villes, et le curé de la paroisse, bien souvent né dans le canton, a été remplacé par l'intrus dont personne ne se sent familier.
En Normandie, plus particulièrement, les premières émotions notables ne se situent pas en 1793, mais connaissent leur apogée en 1796, sous les ordres du Comte de Frotté. Ce dernier, demeuré longtemps dans l'expectative, ne prend place dans la chouannerie qu'après que l'épopée vendéenne soit venue s'écraser sur les remparts de Granville. Il s'agit en fait d'un officier plus ou moins affilié à la franc-maçonnerie de l'époque et de surcroît protestant, qui incarnera les espoirs tardifs du combat catholique et monarchiste.
Nos gens sont longs à prendre parti, mais l'histoire des révoltes normandes explique plus que certainement l’attentisme : on agit lorsque qu'il n'y a plus d'autre alternative. Les réquisitions de chevaux, de main d'œuvre, les atteintes à la propriété collective des paroisses, mais aussi privée lorsque le cours du blé est fixé à vil prix, l'incompréhension de Paris et de ses représentants vis à vis de populations sur la défensive, auront fait plus pour développer la chouannerie, en définitive, que les changements de la révolution.
Jean HALOT

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