On trouvera ici, pour l'heure, les textes de Runes-Lettres d'O.D.I.N.
qui, à terme, seront complètés des réflexions du groupe de
travail de l'O.D.I.N.-76, de sa création jusqu'à sa dissolution en 1996.



mercredi

Patrimoine et génétique

Chaque fois qu'un homme meurt, ce n'est pas seulement une bibliothèque qui disparaît, selon la formule de Léopold Senghor, c'est aussi une banque de gènes qui s'efface.

Faisant fi des thèses racistes ou anti racistes, les biologistes en sont aujourd'hui convaincus : les chromosomes de nos ancêtres sont aussi précieux que les héritages traditionnels. L'histoire des hommes n'est pas seulement inscrite dans leurs cultures, leurs langues et leurs coutumes, elle est également gravée dans leurs cellules. La molécule d'A.D.N. porte la trace des exodes, des conquêtes, des invasions, de tous les mariages, mélanges et mouvements de population qui se sont succédés à travers les continents depuis la nuit des temps.
Chacune des milliers d'ethnies vivant aujourd'hui sur terre représente une bibliothèque génétique dont on connait à peine quelques pages. Et c'est justement au moment où les chercheurs commencent enfin à déchiffrer ce grand récit biologique, grâce aux nouveaux outils de la science génétique que s'accélère la disparition des tribus isolées et des derniers témoins des civilisations ancestrales, qui, quand ils ne sont pas éliminés par la guerre, la famine et les épidémies, sont absorbés par l'urbanisation et le métissage.
Estimant qu'il y avait urgence, des scientifiques du monde entier ont décidé de réagir en lançant une grande opération de sauvetage… du patrimoine héréditaire de l'humanité. Il s'agit rien de moins que prélever des échantillons sanguins de plusieurs centaines de peuplades menacées.
Objectif : immortaliser leurs cellules en culture et les stocker dans des laboratoires centralisés, où elles pourront être étudiées par les chercheurs d'aujourd'hui, comme par ceux des générations futures... Lorsque les peuplades en question ne seront plus qu'un souvenir « folklorique ».
L'idée a été lancée pendant l'été 1991 dans la revue « Genomics » par une poignée de chercheurs américains menés par le linguiste et généticien Luigi Cavali-Sforza, professeur à l'université de Stanford, et par le biologiste Allan Wilson, de l'université de Beckley, spécialiste de l'A.D.N. des mitochondries (1).
Ce projet, baptisé « HUGO » (2) n'est encore qu'au stade préparatoire. Au mieux, les généticiens ne se mettront à courir après les derniers hommes libres que vers 1994, suivant alors les chercheurs des industries pharmaceutiques.
En effet, les dernières tribus d'Amazonie ne se verront pas seulement spoliées de leurs secrets de la pharmacopée végétale, mais également de leur patrimoine le plus intime : leur héritage génétique.
À la suite de quoi, les « sondés » pourront disparaître en paix sous le béton civilisateur, on en aura préservé le principal.
Ce projet ne manque cependant pas d'intérêt, après recensement des peuples menacés de Papouasie, d'Indonésie ou d'Afrique, les prélèvements devraient s'étendre à la population mondiale.
On s'étonne que nos scientifiques, sociologues et ethnologues, notamment, ne considèrent pas urgente la préservation des gènes des ethnies représentées dans nos villes, ou nos campagnes.
En dehors de ces considérations alarmantes, de telles recherches ne manquent pas d'exalter les imaginations. L'histoire nous a montré la Normandie comme un carrefour du monde nordique. La science génétique nous ouvre des portes nouvelles quand aux diverses origines du peuple Normand. Quel pourcentage de sang saxon, celte, viking, coule dans les veines de nos compatriotes ? Qui peut se réclamer descendant des germains de la mer ? Chez quel individu se retrouve la noblesse des fabuleux Érules (3) qui prirent la mer après avoir été chassés du Jutland par les Danes ? Peut-être pourra t'on connaître enfin l'origine de ce peuple d'Amérique du Nord, les Mandans, aujourd'hui disparu, associé aux Hurons et dont les traits rappellent les colonisateurs vikings de l'an mil ?
En attendant que la génétique nous ouvre de nouvelles pages d'histoire, le projet HUGO nous confirme sans le vouloir ce que nous savions déjà : le besoin vital de préserver le patrimoine génétique des peuples. Pour l'instant, l'action de ces scientifiques ne fera que prélever et classer pour étude ce qui fait qu'un peuple est un peuple. Un pas reste à franchir pour étudier les moyens de préservation physique des ethnies.
En effet, la science génétique ne semble pas encore comprendre que les peuples, dans leurs aspects spécifiques, doivent être respectés au même titre qu'un individu dans son intégrité physique, culturelle et idéologique.
Pourtant, si le projet HUGO veut connaître, par l'étude approfondie de l'A.D.N., l'histoire des peuples, ce n'est pas seulement vers les dernières tribus isolées d'hommes « sauvages » qu'il faut se tourner. Les peuples sont partout menacés, car la définition même de peuple suppose une unité culturelle, une intimité sociale que seuls connaissent les sociétés encore à l'écart du brassage et de la globalisation caractéristiques de la société industrielle.
Lambert

(1) Organelles de la cellule qui se transmettent exclusivement par la mère.
(2) HUman GenOms, génomes humains, budget : 150 millions $ par an.
(3) Dont l'étymologie aurait donné les Jarls norrois, puis les Earl anglo-saxons.

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