On trouvera ici, pour l'heure, les textes de Runes-Lettres d'O.D.I.N.
qui, à terme, seront complètés des réflexions du groupe de
travail de l'O.D.I.N.-76, de sa création jusqu'à sa dissolution en 1996.



samedi

Les espaces Normands

L'économie est devenue urbaine et la ville est au cœur de tous les débats sur le développement économique et la vie sociale. La majeure partie de la population vit à la ville, et les projections les plus optimistes supposent que l'on stabilisera cette croissance vers un rapport de quatre-vingt citadins pour vingt ruraux ; beaucoup parmi ces derniers sont déjà des citadins au plan professionnel et des loisirs. Les esprits évoluent, et beaucoup prennent conscience qu'aucune grande ville Normande ne peut prétendre seule au label européen. Le maillage urbain permet de conférer aux cités Normandes la taille européenne, mais comment faire alors que l'on pèse le quart en population de son puissant voisin pour que cette situation ne conduise à une colonisation insidieuse qui marquerait notre agonie ?

La DATAR, l'État et les autres...

Car s'il est une constante depuis 1450, date de l'annexion de la Normandie par la France, c'est que les français ont une vision négative de la Normandie qui s'est vue interdire toute perspective d'auto développement. Parallèlement à l'opposition Paris/Provinces, il a été instauré que les espaces ruraux et industriels doivent être réciproquement étrangers ; partant de cette analyse, l'aménagement de la « Basse-Seine » en « zone de développement » ne pouvait être confié qu'à des spécialistes, donc à la DATAR ou à des organismes extérieurs, lorsqu'ils ne sont pas rivaux comme l’IAURIF (Institut d'Aménagement et d'Urbanisation de l’Ile de France).

« Deux scénarios peuvent être dès lors envisagés pour notre pays ; le premier est celui d'un modèle de développements séparés, où cohabiteraient sur le sol national des populations et des territoires aux situations, aux modes de vie différents, donc aux solidarités divergentes, […] Chacun s'organiserait au mieux de ses intérêts ; il aérait dès lors illusoire de vouloir préserver un même système d'éducation, de protection sociale, de retraite, voire même d'imposition. Il suffirait d'un État minimum, garantissant la paix civile et le secours aux plus défavorisés, autant et aussi longtemps que faire se pourrait.
« L'autre perspective est celle d'une cohésion nationale renouvelée, autour d'un « pacte républicain » adapté au monde qui vient. C'est la voie choisie par le gouvernement. La politique d'aménagement du territoire se situe au cœur de cette entreprise, puisqu'elle tend à valoriser la propriété collective de la nation, son espace, à améliorer son « offre » dans la compétition internationale, tout en rétablissant l'égalité des chances entre les territoires et en consacrant leur solidarité.
Il faudra un État plus proche des réalités locales dans son organisation. »

Cela étant extrait des deux premières pages de la synthèse du document d'étape du Xlème plan, édité par la DATAR et cosigné par MM. Balladur, Pasqua et Hoeffel, nous savons d'ores et déjà comment notre destin est scellé. Que, pour des raisons qui nous échappent encore, l'on nous ait laissé entendre que les aspects qui heurtent nos susceptibilités de provinciaux seront atténués n'y changera pas une ligne, ce sont, des écrits contre des paroles. Ce dont nous sommes sûrs, c'est que l'État entend faire payer le prix de ses erreurs à la « province ».

La contre-attaque de l’empire

Parce que des gouvernements successifs n'ont fait aucun effort d'intégration des populations allogènes, les provinces se voient interdire la promotion de leur identité régionale, la défense de leurs intérêts propres, l'enseignement de leur culture et de leur langue régionale, même le statut particulier d'assurance maladie d'Alsace et de Lorraine est remis en cause... avec force rappels pathétiques à une discipline républicaine à sens unique. Parce que les institutions centralisatrices sont en déliquescence, on propose d'appliquer à nouveau la recette du « tout Paris » et de son attractivité internationale. La répartition des ressources publiques sera accrue des taxes professionnelles et gérée par l'Assemblée Nationale, le rôle de l'État renforcé du pouvoir des préfets et sous-préfets.

Cette « vision du monde » enlève à la vie « de province » toute éventualité de jouer un rôle international, même européen. La « basse »-Normandie semble attirée par la Bretagne tandis qu'en « haute »-Normandie certains rêvent de Picardie ou d'Ile de France. Face à l'expansionnisme parisien, il est plus que jamais nécessaire de créer de nouveaux chantiers de coopération normano-Normande.

De nouvelles approches

À la centralisation française au bénéfice de Paris ne répond pas une micro centralisation Normande au profit de Rouen, Le Havre ou Caen : là réside la chance d'une exception culturelle Normande qui affirme un genre de vie équilibré à l'origine d'une nouvelle organisation de l'espace de type multipolaire.

Les villes qui constituent l'espace-capitale régionale sont le pôle fort qui évite trop de dépendance extérieure, le phare qui structure l'identité régionale. Il faut un poids important pour répondre à la définition de métropole européenne et arriver enfin à une relative autonomie.

Déjà, les deux Conseils économiques et sociaux de Normandie travaillent ensemble, sur trois grands dossiers : les formations supérieures et la recherche, les infrastructures de communication, la promotion et l'image de la Normandie. Mais seule cette dernière opération est une des rares structures opérationnelles inter Normande. Normandie Métropole, qui regroupe les trois capitales Normandes, pose sur des évidences un constat riche de promesses : la Normandie est la seule région maritime du Grand Bassin parisien (G.B.P.), les grandes villes sont essentiellement associées à des ports, le patrimoine historique de la Normandie est donc géopolitique ; ces lapalissades sont la preuve d'une prise de conscience de notre capital de situation, qui pour l'instant est exploité et non géré. Le contexte de la création de Normandie Métropole répond à une agression caractérisée : un État et son bras séculier en matière d'aménagement du territoire, la DATAR, fixent des normes : incompatibles avec les réalités des villes Normandes, les abaissent ou les oublient. C’est donc en réaction à la tutelle de la DATAR que Normandie Métropole est devenue un .facteur incontournable de l'aménagement du territoire. Encore qu'il ait fallu attendre vingt-cinq ans que les politiques montrent leur attachement à la chose commune Normande. Bien que tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il ne peut exister de réseau de ville idéal, il n'en demeure pas moins vrai que certains principes doivent être respectés ; la reconnaissance des intérêts légitimes de chaque partie, l'absence de hiérarchie urbaine, impliquent une vision plus que des définitions. Ainsi d'un contrat technocratique, qui ne serait que la pâle copie des approche delà DATAR, le réseau de ville se doit d'être un espace privilégié où toutes sortes de contrats peuvent être définis sans que tous soient directement partie prenante. C'est, deux siècles après la Bastille, un peu de démocratie qui nous revient.

Une communauté de destin vécue, voulue, entretenue

Les grands projets de coopération l'emportant sur les décisions de la DATAR, l'esprit hanséatique Normand pourra promouvoir ses ambitions commerciales, mais aussi culturelles. La création d'un Directoire des ports Normands afin que ces outils soient enfin reconnus autrement que comme des éléments de folklore, mais aussi comme des outils de notre développement. Une seule université de Normandie décentralisée sur l'ensemble du territoire Normand pour y développer nos particularités, et bien d'autres thèmes à venir fonderont, à l'exemple du Comité régional du tourisme, la volonté Normande d'être une communauté d'intérêts et d'ambitions.

Inévitablement l'exemple Normandie Métropole sera suivi, déjà Cherbourg, Dieppe, Lisieux, Bernay, piaffent aux portes des salles de réunion, « Val de Seine Développement » (du Vaudreuil à Vernon) pose les termes de la contre offensive à l'expansion du Glouton Boulimique Parisien (G.B.P.); un nouveau réseau de ville européen s'ébauche avec le South Coast Métropole (Southampton, Poole, Bournemouth et Plymouth)... Les champs sont donc ouverts pour une nouvelle définition géopolitique de la Manche.

Car nous ne voulons pas que la DATAR, l’IAURIF ou autres manifestations d'un empire technocratique à connotation colonialiste, viennent décider pour nous de ce qui ne concerne que nous. L’État, selon le traité de Maastricht, doit remplir un rôle de subsidiarité et d'arbitrage, rien de plus. Alors que l'on ne nous parle plus de ces schémas d'aménagement où des « directives territoriales viendront préciser dans chaque région les conséquences de ce schéma », ni que l'on nous « précise les principaux enjeux de notre développement ». Nous ne voulons pas, à l'instant où l'Europe veut dialoguer avec les régions, d'un quelconque « renforcement du rôle du parlement dans le domaine de l'aménagement du territoire ».

Surtout, quand on sait qu'un technocrate ça passe et ça assume autant que la bonne conscience d'un locataire moyen du palais Bourbon.

Jean-François Bollens

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